Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/294

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bras droit, c’était le tour du bras gauche, qui exécutait la même voltige, se détachant, happant une âme à pleine main, et venant se recoller au corps ; et ainsi de suite.

Je me demandai un moment si mon voisin n’avait pas une hallucination. Je fis part à un frère de la San-ho-hoeï, qui était à mon autre côté, de cette étrange vision de l’Anglais. Le Chinois, comme moi, ne voyait rien du tout ; mais voici qu’un assistant derrière nous prétendit constater le phénomène ; et bientôt l’assemblée fut partagée en deux camps à peu près égaux : ceux qui voyaient la voltige des bras du grand-sage, et ceux qui ne la voyaient pas.

Cet incident est au nombre de ceux que je n’ai jamais pu réussir à m’expliquer. Je sais que je n’ai nullement vu le phénomène certifié par plus de la moitié des personnes présentes à cette réunion ; et si je l’avais constaté, je n’hésiterais pas à lui donner mon témoignage, si invraisemblable qu’il puisse paraître et dussé-je me faire traiter d’imposteur. Mais cela, je ne l’ai pas vu, je le répète, et je le déclare hautement. Néanmoins, je me suis toujours demandé quel intérêt environ cinquante personnes pouvaient avoir à prétendre être témoins d’un fait merveilleux, au milieu de tant d’autres également merveilleux que j’ai vus, ceux-ci, et alors surtout que ces personnes n’avaient pu s’entendre au préalable, puisque le premier qui signala le prodige, le visiteur 33e du Rite Écossais, ne connaissait personne dans l’assistance et avait été apporté, selon la règle, d’une opium-shop.

Dans ces diableries, il y a évidemment quelque chose qui déconcerte l’imagination. Aussi, je me bornerai, comme jusqu’à présent, à n’être qu’un narrateur, un simple narrateur, et je laisse aux théologiens le soin d’approfondir et d’apprécier.

Pour en revenir au grand-sage, quand il fut à bout de forces, il annonça à l’assemblée que le mannequin était suffisamment imprégné d’essence vitale et même d’âmes de missionnaires, et que les supplices pouvaient commencer.

Ce fut une scène stupide, idiote, que cette torture infligée à ce mannequin inoffensif, qui avait été étendu tout de son long sur le sol. On l’ébouillanta, on le tenailla, on lui fit subir la question de l’eau, on lui brûla la plante des pieds, on le fouetta avec des verges, et finalement on le scia en deux. La rage de ces fanatiques insensés était à son paroxysme. Or, je crois bien qu’elle s’exerça, du moins cette fois, en pure perte ; car je ne sache pas qu’aucun des missionnaires de cette époque soit mort en cours de voyage à bord du courrier de Chine, ni dans les escales ; et c’est pourquoi je tiens comme parfaitement inefficaces les envoûtements poussés à un degré de fureur tel, qu’il est bien évident que l’envoûteur