Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/299

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sans aucun doute, quelque chose de nouveau ; le cœur me battait à rompre ma poitrine, et un frisson me courait à la peau. Ces sensations, je les constate ici ; mais je ne saurais les expliquer.

Soudain, j’eus l’impression très nette d’un souffle d’une chaleur extrême exhalé par une bouche invisible sur mon visage ; instinctivement, je rejetai ma tête en arrière ; et je vis le même mouvement de recul exécuté en même temps par tous les assistants sans exception.

Une seconde après, à peine, la griffe gauche du Dragon-Baphomet, idole formée de divers métaux, s’abaissa sur l’épaule gauche du frère Yéo-hwa-tseu et s’enfonça dans ses chairs ; le sang jaillit ; la statue releva sa griffe et reprit son immobilité.

Alors, le frère Yéo-hwa-tseu sauta à bas de l’autel, et, montrant avec orgueil le sang qui coulait de l’empreinte diabolique, très nettement visible, en cinq trous profonds, il cria à l’assemblée quelques mots chinois que je ne compris pas, mais qui me furent expliqués plus tard. Il criait ceci, d’un ton de triomphe :

— Je suis agréé par notre Dieu ! je suis choisi ! je suis élu !… À moi, à moi toutes les flammes du ciel de feu !…

Il est impossible de dépeindre la joie qui illuminait la face terreuse de ce damné, de cet enragé luciférien. C’était la seconde fois, parait-il, que son nom était sorti ; mais, précédemment, la griffe du Dragon ne s’était pas abaissée sur son épaule, et le supplice n’avait pu avoir lieu, par conséquent. Depuis lors, il avait vécu une existence mélancolique, navré, désolé de n’avoir pas été trouvé par Lucifer assez digne des flammes éternelles ; telle était, du moins, son idée. Il avait donc travaillé à se sanctifier à sa manière. Comment ? je l’ignore. Néanmoins, il est permis de supposer, et ceci me parait logique, que ce fut en commettant quelques-uns de ces crimes dont les gens de la San-ho-hoeï sont coutumiers : catéchumènes assassinés à l’écart, enfants volés et jetés aux cochons, etc.

Maintenant, il était heureux ; son bonheur éclatait.

Des frères servants avaient apporté un brasier, un billot de bois, traîné sur les dalles avec un bruit sourd, et un couteau, ou plutôt une grande lame d’acier tenant le milieu entre le coutelas et le sabre, une sorte de sabre-baïonnette large et triangulaire, à la pointe et aux tranchants très effilés, pouvant piquer et couper, et dont la poignée était en forme de tête de dragon.

Le frère Yéo-hwa-tseu quitta l’orient et vint au milieu du temple, où le brasier ardent avait été placé, un peu en avant du baptistère. Là, il se dépouilla de tous ses vêtements, jetant dans le feu, au fur et à mesure, ses babouches, son pantalon, son pundjama, puis sa moresque de soie, objets que les flammes dévorèrent en un clin d’œil.