Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/300

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Quant au billot, il avait été monté sur l’estrade de l’orient, devant l’autel. D’autre part, tout à fait à l’extrémité de la salle, en avait installé une petite table, sur laquelle étaient trois coupes, remplies de je ne sais quel breuvage.

Une fois déshabillé, le frère Yèo-hwa-tseu revint à l’orient, où les frères A-fou, Sheu-tong et Yeu-sing l’attendaient, le premier des trois armé du glaive sinistre.

Yéo-hwa-tseu s’inclina devant le grand-sage, qui le bénit ésotériquement et l’embrassa. Puis, il se plaça auprès du billot.

L’horrible drame approchait de son dénouement.

Sans prononcer une parole, Yéo-hwa-tseu avait posé sur le billot sa main droite. Je vis tout à coup un éclair briller, un bras s’abaisser, et j’entendis un choc sourd, suivi d’un petit « clac » sec. Le frère A-fou venait, d’un coup net et sans hésitation, de trancher le poignet droit de l’élu du diable ; la main gisait sur le plancher, inerte, tandis que des filets de sang jaillissaient de l’avant-bras coupé, inondant le billot de bois. L’homme n’avait pas poussé un cri et n’eut même pas un plissement de front.

A-fou passa le couperet à Sheu-tong. Yéo-hwa-tseu posa, automatiquement, sa main gauche à l’endroit même où avait été la droite. Encore un coup sec, précédé d’un éclair, Sheu-tong avait suivi l’exemple d’A-fou. La main gauche de l’élu du diable gisait aussi au pied du billet, dans une flaque de sang rutilant et vermeil, coagulé. L’homme toujours ne sourcillait pas.

D’un mouvement machinal encore, il souleva sa jambe droite et la posa à son tour sur le billot, tandis que Sheu-tong remettait à Yeu-sing le glaive meurtrier. Un troisième éclair brilla ; j’entendis un « hem » sonore, poussé par le dernier des trois bourreaux que le sort avait désignés ; il venait, lui aussi, de frapper, et le pied droit d’Yéo-hwa-tseu était allé rejoindre ses mains.

À présent, il se tenait sur le pied gauche, calme, mais pâle et faiblissant visiblement, par suite du sang perdu qui coulait poisseux de ses trois affreuses plaies. Cependant, il était loin d’être à bout de forces.

Tout cet acte du drame s’était déroulé presque en aussi peu de temps qu’il en faut pour l’écrire, et, pour ainsi dire, mécaniquement. J’en avais suivi les péripéties, absolument hypnotisé, la gorge sèche, pendant que des gouttes de sueur me perlaient au front. Je ne pensais plus à rien ; je regardais l’orient, comme fasciné, sans pouvoir en détacher mes yeux. Aujourd’hui encore, en y songeant, je frissonne. Un éclair, poum, tac, une main ; un autre éclair, poum, tac, une autre main ; un troisième éclair, un hem sonore, puis un pied qui tombe, clac ; et tout cela, parmi des giclées de sang.