Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/320

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l’Atlantique. La ville a ainsi la forme, l’apparence d’une péninsule. D’autre part, le sol étant très bas, les clochers des églises et les monuments publics semblent émerger de la mer.

La fondation de Charleston remonte à 1680 et est due à une colonie de protestants français. Maintenant, la ville compte 55,000 habitants.

L’édifice le plus remarquable aujourd’hui est la Nouvelle-Douane, vrai palais de marbre blanc, dans le style roman-corinthien. Il faut noter aussi la prison des nègres ; car la Rome luciférienne est, en même temps, la métropole sacrée de l’esclavage.

C’est au Sugar-House que se tenait le marché aux esclaves, à l’époque où le trafic de la chair humaine se faisait publiquement : dans cette espèce de caverne ou dans ces catacombes, à l’air infect, humide et malsain, des hommes étaient enchaînés et pourrissaient pendant des mois, des années ; mais ces hommes étaient des nègres, et la pitié des Caroliniens n’est pas faite pour la race africaine. La moindre infraction, un retard de quelques minutes dans les rues après le couvre-feu, les amenait à Sugar-House, où ils étaient condamnés à recevoir de vingt-cinq à cent coups de fouet.

Jean-Jacques Ampère, dans sa Promenade en Amérique, qui date de 1855, écrivait ceci :

« Je viens de voir en plein jour, sur une place publique de Charleston, vendre à l’encan une famille de noirs. Elle était sur un tombereau, entassée, comme pour le supplice, et le tombereau était surmonté d’un drapeau rouge. Les nègres et les négresses avaient l’air indifférent, comme le public qui les regardait. Les acheteurs s’approchaient, retournaient la marchandise, regardaient les dents, etc. »

Il est arrivé même aux Caroliniens de brûler des nègres à petit feu, notamment en 1803 ; le fait est certifié. C’est dire si les gens de cette contrée sont naturellement cruels !…

Depuis l’époque dont parle Ampère, c’est-à-dire depuis quarante ans bientôt, Charleston a modifié son aspect, s’est embellie ; mais le caractère, le tempérament, les mœurs des habitants n’ont pas changé.

Lors de la terrible guerre civile, dite de la Sécession, qui déchira pendant quatre ans les États-Unis et coûta 600,000 victimes aux deux partis, ce fut Charleston qui donna le signal de la révolte contre la patrie. Je dirai tout à l’heure quel rôle abominable joua Albert Pike dans cette lutte fratricide. La question des esclaves fut, on le sait, le motif de cette révolte des États qui, faisant cause commune avec Charleston et la Caroline du Sud, entreprirent de sortir de l’Union nationale, attendu que, depuis la mort de John Brown, les partisans de l’abolition de l’esclavage devenaient majorité dans le pays.