Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/344

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décrit les honneurs funèbres que le général Pike fit rendre à son ami.

Le corps du docteur Mackey fut transporté de Fortress-Monroë à Washington, et, indépendamment de la cérémonie particulière qui eut lieu au temple maçonnique en présence des initiés seuls, une solennité publique fut ordonnée par le grand-maître suprême.

Il choisit pour cela un des temples protestants dont les ministres sont affiliés à la maçonnerie, l’église All-Souls. Le service funèbre fut célébré par le F∴ Shippen, pasteur, qui, son office fait, céda la place au général Albert Pike, comme s’il eût été son supérieur dans la hiérarchie sacerdotale : il l’était, en effet ; mais le public ne pouvait soupçonner dans quelle hiérarchie sacerdotale le révérend Shippen avait à s’incliner devant le grand vieillard à barbe blanche. Celui-ci monta dans la chaire et prononça le panégyrique du défunt, en ne faisant allusion, bien entendu, qu’aux faits de sa vie que le public avait à connaître.

Mais un homme comme Albert Pike ne pouvait s’en tenir à une manifestation ordinaire. Son discours terminé, il descendit de la chaire, vint au milieu de l’église, se plaça devant le catafalque où se trouvait le cercueil de Gallatin Mackey. On lui apporta une grande torche allumée, qu’il s’était fait préparer ; il la prit, et, l’agitant d’une façon mélodramatique, il s’écria sept fois d’une voix forte :

— Frère Gallatin Mackey, nous te pleurons ! nous te conjurons de reparaître !… Entends-tu notre appel ?

Puis, aucune voix n’étant sortie du cercueil, Albert Pike jeta sa torche par terre d’un air accablé, laissa tomber ses bras, et dit avec gravité et mélancolie :

— Hélas ! notre frère Gallatin Mackey ne répond pas à notre appel !…

Cette cérémonie inusitée, qui n’avait jamais eu lieu publiquement dans une église, impressionna vivement les assistants, et l’on en parla longtemps à Washington. Les curieux en trouveront le compte rendu très complet dans le National Republican, journal quotidien de Washington, numéro du 27 juin 1881.

Le rédacteur du compte rendu, qui est évidemment un affilié à la secte, écrit, entre autres choses, ceci : « Juste au moment où le général Pike lançait son appel au défunt, un rayon de soleil frappait le vitrail de l’ouest, traversait la nef, et, éclairant son visage vénérable, lui donnait l’aspect sévère et digne d’un saint des anciens jours ; l’illusion ne fit qu’augmenter, lorsque, d’une voix mélancolique, il constata tristement le silence du docteur Mackey. »


Cette digression sur Gallatin Mackey terminée, je reviens à Albert Pike au moment où nous l’avons laissé, s’établissant à Memphis, dans le