Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/482

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doivent rester fermés. De temps en temps, donc, on pousse quelques-uns de ces demi-initiés non participants aux mystères d’Isis à déposer une motion tendant à établir des loges de femmes. Les bons jobards ne se font pas répéter l’invite, et c’est des deux mains qu’ils signent, une pétition dans ce sens, adressée au Grand Orient ou au Suprême Conseil. Là-dessus, les chefs du rite insèrent gravement dans le bulletin officiel un décret rejetant la pétition, en s’appuyant sur ce que « la constitution s’oppose à la création de loges féminines régulières ». Et, chaque fois que la question des sœurs maçonnes est soulevée dans la presse profane, vite Grands Orients et Suprêmes Conseils font reproduire par les journaux amis les fameux décrets. Le tour est joué.

En France, on a poussé même la mystification plus loin. En 1882, eut lieu l’extravagante farce que voici : une loge située au Pecq (Seine-et-Oise) donna à Mlle  Maria Deraismes l’initiation d’après le cérémonial du Rite Écossais (masculin) au grade d’Apprenti ; Mlle  Deraismes était donc créée, non pas sœur, mais bien frère ; c’était une innovation audacieuse. Les frères du Pecq, qui ne pratiquaient aucun rite androgyne, avaient voulu simplement faire une sorte de manifestation politique et rendre honneur à la récipiendaire, sans aucune arrière-pensée. Mais l’occasion de faire un éclat à ce propos était trop belle pour que la Grande Loge Symbolique la laissât échapper : elle mit aussitôt en sommeil la loge du Pecq, qui avait, en effet, contrevenu à tous les règlements et usages. Et les malins de s’écrier : « Vous voyez qu’il n’y a pas de femmes dans la franc-maçonnerie ; en voici une, et très respectable, qu’on a essayé de nous glisser ; vlan ! la loge a été fermée ! »

Le plus beau, c’est que, depuis cette aventure, Mlle  Maria Deraismes est convaincue qu’elle est la seule Française de ces temps-ci qui ait reçu l’initiation maçonnique ; on lui a remis le petit tablier de peau blanche des frères Apprentis, et elle ignore que, justement pour cela, c’est elle qui est une maçonne irrégulière, une maçonne non reconnue, et qu’elle ne serait même pas admise comme visiteuse dans les loges féminines d’Espagne, le seul pays où la maçonnerie androgyne ne fasse pas mystère de son existence. La vérité est qu’il y a en France une sœur-frère à tablier blanc de peau, et plus de huit mille sœurs portant tablier de satin orné de broderies symboliques, cordon de soie moirée bleu, ponceau, vert ou rose, suivant les rites, et jarretière de satin avec ces mots brodés ; Silence et Vertu. Et je ne parle pas ici des sœurs des triangles !

Mais, s’il existe une personne du beau sexe qui, tout en étant initiée, ne soit pas néanmoins ce qu’on appelle une sœur-maçonne, d’autre part, il est des lucifériennes en dehors même des triangles ; ce sont des dames ou demoiselles qui honorent Satan à leur manière, qui n’appartiennent