Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/519

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elles, et rééditant à peu près partout les mêmes curiosités, font que les touristes ne visitent que quelques-unes de ces chambres et que personne ne songe à explorer en détail toutes ces profondeurs.

Je dis ceci pour que mon lecteur, du moins celui qui ira à Gibraltar, voie combien il lui sera facile de faire le même chemin que moi, sans avoir besoin d’être accompagné par un palladiste, ce qui, du reste, serait pour lui une très dangereuse compagnie ; je ne conseille pas d’essayer de tromper un de ces sectaires ; il faut, pour réussir en cela, des circonstances exceptionnelles et une fréquentation réelle des triangles. Il suffira donc à mon lecteur de s’adresser au premier guide venu, en lui désignant la grotte San-Miguel comme but de l’excursion.

Tout à fait à la base de la muraille méditerranéenne, en un endroit où le rocher est en partie enseveli sous le sable accumulé, se trouve l’ouverture de la grotte San-Miguel. Son accès n’offre pas, comme on voit, de grandes difficultés. En réalité, n’oublions pas ce détail, la grotte a deux ouvertures.

Le guide préparait ses crampons, une échelle de corde, des torches. Pendant qu’il apprêtait tout ce qui était nécessaire pour l’exploration, le frère palladiste, dont je n’ai jamais su le nom, par parenthèse, m’invitait à entrer dans la grotte.

— Venez, me dit-il, l’entrée de la grotte est accessible.

Nous entrâmes. La première partie, en effet, a son sol en terrain plat. Nous pénétrâmes à la lumière du jour.

— N’allez pas plus loin, fit mon compagnon au bout de quelques pas ; attendez le guide… Il y a, à quelque distance, un gouffre béant…

Croyant à quelque épreuve maçonnique, c’est-à-dire à une fumisterie à la mode des loges et arrière-loges, je lui répondis :

— Oh ! n’ayez crainte, je tâterai le terrain avec mon bâton.

Et je m’avançai d’un pas résolu ; mais lui :

— Puisque vous ne voulez pas attendre le guide, je vous accompagne.

Il vint avec moi, en effet, me tenant par le bras, tandis que je marchais en tâtant le sol à la façon des aveugles, au fur et à mesure que le jour diminuait. On n’y voyait plus guère, lorsque je sentis que mon bâton rencontrait le vide : le gouffre existait bien ; mon compagnon m’avait parlé sérieusement. Je jetai une pierre. J’entendis quelque temps après le bruit de son choc au fond du précipice ; le gouffre était d’une belle profondeur.

Je me couchai à plat ventre, pour tâcher, en fixant mes yeux avec persistance, de distinguer quelque chose dans l’obscurité de l’abîme ; mais je ne réussis à rien voir. En revanche, j’entendis très nettement le bruit d’une foule lointaine, une sorte de bruyant murmure souterrain, un