Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marqué aussi, c’est que, la veille du jour où Matraccia avait assassiné ce prêtre, une femme de mœurs légères avait été aussi poignardée, sans qu’on pût jamais soupçonner son meurtrier, lequel s’était échappé à loisir, après avoir recueilli, — fait particulier et horrible, — tout le sang qui avait coulé de la gorge tranchée de la victime.

Or, dans le crime de Marseille, c’était également une femme ayant une inconduite notoire que Matraccia avait égorgée ; mais là, il avait été pris. Et, d’autre part, il fut établi que, dans la semaine du crime, il avait rôdé aux alentours des demeures de divers prêtres, principalement des prêtres âgés. Interrogé sur le motif de ces allées et venues suspectes, il nia selon son système, et se renferma dans un mutisme absolu.

À Naples, en 1852, il avait incendié une église. Il fut encore établi qu’en Égypte il avait fait partie d’une bande de scélérats, ne vivant que de rapines ; la bande avait été capturée un jour ; Matraccia, seul, parvint à s’évader de la prison du Caire, on n’a jamais su comment.

En France, le mystérieux bandit fut bien gardé. Il comparut aux assises pour répondre de ses forfaits. On ne put obtenir de lui aucun éclaircissement. Il avouait le fait brutal, le crime, qu’il ne pouvait nier, bien entendu ; mais il demeurait opiniâtrement muet sur tout le reste. En vain, on lui demanda de nommer ses complices ; car il paraissait évident qu’on était en présence d’une vaste organisation criminelle, assassinant dans un but inexplicable.

À cette question, Matraccia répondit, avec un rire cynique, narguant la cour et les jurés :

« — Je n’ai pas d’autre complice que mon perroquet. »

Par une déplorable condescendance, on l’avait autorisé à garder son perroquet, même devant les assises. Et ce fut un spectacle sans pareil, que celui de cet accusé, subissant dans un prétoire criminel les interro gatoires du président, opposant, sans s’expliquer, ses démentis aux affirmations accablantes du ministère public, et portant ce volatile vert perché sur son épaule[1]

  1. Rien n’est bizarre comme la fantaisie qui a lieu parfois dans les grands procès criminels. Ce président, qui toléra qu’un véritable bandit, accusé d’assassinat, comparût devant les assises avec son perroquet sur l’épaule, est tout simplement stupéfiant. Plus récemment, et à Paris même, on a vu la justice se prêter à des caprices plus iuouïs encore des accusés. Rappelons seulement un cas célèbre, connu de tout le monde : l’affaire Tropmann, en 1870. L’auteur du crime de Pantin, pour retarder autant que possible l’heure de l’expiation suprême, inventait des contes à dormir debout ; c’est ainsi qu’il déclara aux magistrats que, si l’on voulait connaître la vérité sur les mobiles de son forfait, il fallait retrouver un portefeuille contenant certains papiers mystérieux et qu’il disait perdu. Il demanda la consultation d’une somnambule à ce sujet ; les magistrats déférèrent à cette requête ; on amena une somnambule au Palais de Justice, un magnétiseur l’endormit dans le cabinet du juge d’instruction, qui l’interrogea, d’après les questions que dictait Tropmann. La somnambule répondit confusément, suivant l’habitude ; et, à la suite de ces réponses confuses, l’instruction ordonna une enquête qui dura un mois entier en Alsace, où, bien entendu, on ne retrouvajamais le fameux portefeuille ; mais Tropmann, grâce à la condescendance plus que singulière des magistrats, avait gagné un mois.