Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/537

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tral, qui, par des fissures, amènerait à fleur du sol les flammes de l’enfer.

Oui, Gibraltar, coin de terre maudit, soupirail de l’infernal royaume, tu étais prédestiné, aux portes de l’Europe et aux portes de l’Afrique, à devenir l’antichambre de Satan.

Mais j’ai assez vu les ouvriers des ateliers spœléïques. Ce soir, d’ailleurs, je retrouverai sur le rocher, en haut, dans la ville, à peu près tous ces hommes, — car les trop difformes seuls demeurent aux cavernes ; — je les retrouverai, en jetant un coup d’œil à travers l’entrebâillement des portes des débits les plus infects, où, dans la baie de lumière crue, on les aperçoit étendus, saoûls, ivres de gin et de wisky, sur le parquet des bouges. Ils ne s’endorment jamais autrement.

J’ai hâte de sortir de cette atmosphère lourde et suffocante ; d’autant plus qu’il me reste à visiter le laboratoire de toxicologie.

Sous la conduite de maître Joë, je quitte donc la dernière salle des ateliers ; mais quelle n’est pas ma surprise, en voyant tous ces monstres abandonner leur travail et nous suivre. Joë Crocksonn me glisse à l’oreille que nous nous rendons à la salle d’honneur. Je comprends : j’ai été reconnu, et il va me falloir, à titre de visiteur haut-gradé, subir quelque ignoble cérémonie. Subissons-la donc, et, mentalement, pendant ce temps-là, prions Dieu.

La salle d’honneur est grande ; elle occupe, à elle seule, toute une des plus vastes chambres de la grotte ; elle est brillamment éclairée à l’électricité ; par exception, les stalactites et les stalagmites y ont été conservées ; aussi, le coup d’œil est féerique. Mais, d’autre part, quel contraste offre ce personnel de malandrins au milieu de ce merveilleux décor ! En effet, tous les mécréants employés aux autres forges et ateliers sont là, rangés ; ils nous ont précédés, pendant ma visite à la dernière salle ; ils n’attendent plus que nous et les « ouvriers choisis ».

À mon entrée, une longue clameur éclate, assourdissante et incompréhensible ; maître Joë m’explique que c’est une acclamation en volapuk, la langue nouvellement inventée et qui a été adoptée par le Rite Spœléïque. Puis, tout à coup, les voix se taisent ; dans le grand silence subit, on n’entend plus que les respirations, haletantes encore, siffler.

Alors, Tubalcaïn sort du groupe des « ouvriers choisis » et s’avance vers moi, tenant quelque chose dans la main.

— Frère, me dit-il en excellent français, nous t’attendions, nous t’avons reconnu. Les insignes que tu portes avec autorité et gloire, et devant lesquels, en quelque pays que ce soit, les Vrais Élus et Parfaits Initiés s’inclinent avec respect, te rendent sacré parmi nous, humbles ouvriers du feu, serviteurs dévoués à l’œuvre de notre Dieu… Honneur