Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/553

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Il n’y avait pas de quoi fouetter un chat ; aussi le juge ne fouetta-t-il personne : il renvoya tout le monde dos à dos, ce en quoi il eut tort, à mon avis tout au moins. Mais aussi, qui aurait pu prévoir que cette fumisterie de village allait rendre fous des milliers et des milliers d’individus ?

Fin comme l’ambre, le père Fox vit cependant qu’il n’y avait rien à faire en face d’un juge plus fin que lui : il s’expatria avec sa smala et s’en fut à Rochester où, mieux stylés, les deux enfants continuèrent ou plutôt reprirent leur petit commerce, avec un gros succès cette fois.

Des phénomènes abracadabrants se produisent alors, qui montrent que la balle de plomb de la première manière s’est joliment perfectionnée depuis ; et si Roya ou Royer a définitivement renoncé à réclamer des prières (pourquoi, oh ! mon Dieu ?), des masses d’esprits se manifestent maintenant, qui tous heureusement n’ont rien à réclamer : Auburnon, New-York, Boston, Cincinnati, Saint-Louis, Buffalo, Philadelphie enfin, sont tour à tour infectés du contage. La balle de plomb devient boulet, puis sphère ; elle fait boule de neige : en 1852, l’Amérique compte 30,000 mediums ; en 1854, elle en compte 100,000 environ.

Vous le voyez, maintenant, juge de Wayne, combien vous avez eu tort de ne pas sévir dès le début et de ne pas stériliser en graine l’ivraie qui depuis a poussé si vite et si bien !

De l’Amérique, la contagion n’allait pas tarder à se répandre en Europe ; les bêtises vont vite, on le sait, et tout de suite aussi, il se trouvait un homme qui allait codifier, commenter, expliquer, traduire les phénomènes et leurs lois. Nommons-le, c’est Allan-Kardec (de son vrai nom : Rivail).

Allan-Kardec n’y va pas par quatre chemins ; tranquillisez-vous, bonnes gens, la doctrine, la voici :

Après la mort, nos âmes quittent la dépouille mortelle et s’en vont où Dieu les envoie. Cela, me direz-vous, c’est classique, c’est de foi, et il n’y a pas besoin de se lever de bonne heure pour l’inventer. — Mais, et c’est ici où l’ingéniosité d’Allan-Kardec se révèle tout entière, — l’âme au lieu de se servir du corps qu’elle a, j’ose dire sous la main, et que le bon Dieu en définitive lui a donné pour agir et s’exprimer, se sert d’un intermédiaire, le peresprit, c’est-à-dire quelque chose qui n’est ni chien ni loup, ni chair ni poisson, un garçon d’extra, quoi ! J’avoue qu’ici je me perds. Mais ce n’est pas tout ; ce peresprit, au lieu d’aller trouver l’âme ou de rester bonnement avec le corps, prend une forme, se concrète, puis profite de cela pour se promener librement, et, n’était la grossièreté de la comparaison et du mot, « chahuter mollement dans l’espace » ; et c’est le peresprit qui donne lieu aux phénomènes du spiritisme (peresperitisme alors ?), qui frappe, cogne, brame, geint, gifle, éternue et souffle, tout impondérable qu’il soit.