Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/575

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teinte, et nous allons évidemment avoir des phénomènes instantanés et des plus probants.

On le voit, le médium, rassuré tout-à-fait, pensant tenir ses deux coattablés, allait se livrer au grand jeu.

Le président consulta du regard l’assemblée, et d’un commun accord tout le monde opina de la tête que le gaz fût baissé. Et cela se conçoit. Ceux parmi nous, dont, comme le président et moi, le siège était fait sur le pseudo-spiritisme, savaient à quoi s’en tenir, ayant en des milliers de fois l’occasion de prendre en flagrant délit de supercherie les pratiquants. Que leur faisait alors le plus ou moins de lumière ? Quant aux autres, comment leur serait-il venu un instant à l’idée que, sur trois individus, un français, un berlinois et un suédois, qui dix minutes auparavant ne se connaissaient pas et que le pur hasard, ce qui était du reste l’absolue vérité, réunissait autour d’un guéridon, il se trouverait une canaille, un fumiste joyeux cachant un observateur, enfin un imbécile parfait, et que canaille et fumiste allaient s’entendre, sans s’être concertés, sans la moindre connivence, pour berner la galerie et le nigaud ? Évidemment, on leur eût dit cela, qu’ils ne l’eussent pas cru, tant cela est incroyable. Toutes les conditions d’absolue bonne foi se trouvaient, au contraire, réunies pour eux, précisément par le fait de ce hasard ; et ils ne voyaient donc réellement dans le baissage du gaz qu’une facilité donnée à l’esprit supérieur de se manifester.

On pense si, une fois le gaz baissé, et dans ce demi-jour qui permettait de voir admirablement les silhouettes, mais qui cachait les mouvements actifs, nous nous livrâmes à une petite débauche de tournoiements et d’esprits. Non, ce n’est rien de le dire !

Bien entendu, on commença sérieusement. La table craqua, fit toc-toc, puis se souleva. On connaît le mécanisme.

— Y a-t-il quelqu’un ? interrogea alors le médium. Un coup, si c’est oui, et deux, si c’est non.

La table se souleva une fois.

— Oui, il y a quelqu’un, continua le médium… Puis : voulez-vous nous dire votre nom ?

Comme réponse, ce fut moi cette fois qui soulevai légèrement la table et lui fit donner le coup de « oui ». Mais, immédiatement, je m’aperçus que j’avais commis un impair. Le médium, en effet, me regardait tout étonné. Je m’étais trop laissé entraîner par le plaisir de contribuer à mystifier Sundström ; et il ne fallait pas que le berlinois se doutât que j’étais actif et de connivence avec lui, mais bien qu’il me crût définitivement empoigné ; alors seulement, cela était certain, il me laisserait voir de mieux en mieux son jeu, sans s’en douter, bien entendu.