Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/586

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grand Frédéric eût consenti, à quelque prix que ce fût, à se servir des mains malpropres de ce Wilhelm Mannteuffel ?… Allons donc !

« Poser cette question, c’est la résoudre. Avec moi, votre conviction penchera vers la négative, et nous serons dans le vrai.

« En ce cas donc tout au moins, et en ce qui concerne notre homme, le peresprit ou n’existe pas, ou, s’il existe, ce n’est pas lui qui s’est manifesté tout à l’heure, et d’une façon ou de l’autre l’homme a prétendu nous en imposer.

« Mais il est, parmi ceux qui s’adonnent au pseudo-spiritisme, une catégorie plus élevée, très élevée même, dois-je dire, dans la classification intellectuelle et sociale, et j’ajoute : malheureusement.

« Si, avec la bonne femme, qui vient consulter un oracle forain et qui regarde sans voir, il est facile de réussir par la supercherie, s’il est possible de lui faire prendre des vessies pour des lanternes, et si elle est incapable de discerner le vrai du faux, il ne devrait plus en être de même quand on s’adresse à la catégorie d’hommes éminents et savants, à laquelle appartient notre distingué collègue le professeur Hans Sundström, de Stockholm.

« Comment ceux-là en sont-ils venus, avec l’élévation de leur culture intellectuelle, à s’occuper de ce spiritisme-là et à y croire surtout ? Voilà qui déconcerte un instant l’esprit. Il est toutefois possible de se l’expliquer. Essayons de le faire, si vous voulez bien.

« Sundström est anatomiquement, physiquement, physiologiquement et psychiquement, prédisposé à cela. Regardez-le, et vous aurez sous les yeux le modèle parfait du spirite fatalement voué à l’erreur, du pseudo-médium croyant sincèrement et obtenant, j’ajoute à votre grand étonnement, des résultats sincères, je ne dis pas, mais… entendons-nous.

« Sundström est avant tout un névropathe, dans toute la force du terme et dans toute sa constitution. Grand et maigre, osseux, avec un crâne développé outre mesure, au front proéminent, déprimé aux tempes, sous de rares cheveux ; au-dessus des pommettes saillantes, brillent deux yeux enfoncés dans l’orbite, profondément. Les rides précoces, la calvitie, vieillissent prématurément cette face agitée de tics convulsifs, où le risorius de Santorini, l’élévateur des paupières et le buccinateur se contractent spasmodiquement tour à tour, alternativement ou ensemble, dans d’indicibles grimaces qui témoignent surabondamment du mauvais état du système nerveux qui les anime ; lésions localisées centrales, ou perturbations réflexes d’origine périphérique, il est hors de toute contestation possible que le système nerveux n’est pas indemne chez lui. Il n’y a pas jusqu’aux mouvements anormaux, aux froncements de la peau du crâne et des oreilles, vestiges de l’état animal antérieur, atavisme animal,