Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/63

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ture. On les rencontre généralement par bandes de trois ou sept, dont une femme fait partie ; jamais cinq, ni six, ni deux.

Leur principal métier, en dehors du vol dont ils sont coutumiers, consiste dans les jeux d’adresse, jonglerie et escamotage, et surtout dans l’art de charmer des serpents, spécialement le cobra-capello, vipère à collier, dont la morsure est instantanément mortelle. Tout cela, exécuté sur le pont d’un navire ou dans la rue, est de la pure fantaisie ; mais, dans les grandes circonstances, et certaines fêtes, par exemple, ils se livrent à des exercices qui tiennent vraiment du prodige.

Ils étaient sept, ce jour-là, sur la vérandah de l’hôtel de Pointe-de-Galle, nus, sales, accroupis en cercle, en train de faire montre de leur talent de prestidigitation, devant lequel Robert-Houdin et Dicksonn lui-même se seraient avoués vaincus. Celui qui tenait le milieu du groupe et auquel les autres servaient de compères, lui passant les instruments, les trucs, avait une physionomie toute particulière ; d’une maigreur improbable, sa peau noire, sale, tendue sur les os, avait des reflets verts par instants, lorsqu’il remuait et que la lumière s’y jouait ; il avait les mains et les pieds longs, en forme de pattes, presque terminées par des griffes ; sous une abondance de cheveux qui n’avaient jamais connu le ciseau, embroussaillés, se voyait, petit, petit, un visage extravagant, dont la majeure part de la superficie était prise par un énorme nez busqué, en avant de deux yeux brillant comme des charbons enflammés et sur une bouche tordue, fendue jusqu’aux oreilles pointues et velues, et armée de dents aiguës dont la blancheur surprenait. Ce personnage, encore que sale, crasseux et répugnant, attirait l’œil avec je ne sais quoi d’obsédant dans le regard.

Tout en faisant ses exercices, entrecoupés d’explications en tamoul, auxquelles d’ailleurs personne ne comprenait rien, il nous regardait tous, et moi plus particulièrement, me semblait-il ; il me dévisageait d’une façon singulière, me fixant et roulant ses yeux dont le blanc apparaissait alors nacré avec des reflets de feu.

Mais je fus stupéfait, lorsque le domestique indien de l’hôtel, qui était derrière moi, me glissa ces mots :

— Le Sata veut vous parler ; il sait ce que vous êtes ; sa volonté est sœur de la vôtre ; et il vous conduira.

Je restai littéralement abasourdi. Ce nom de Sata donné au jongleur m’intriguait, d’autant plus que le domestique et lui n’avaient pas échangé un traître mot. Il n’avait pas bougé de sa place ; seuls, deux de ses compagnons avaient, à plusieurs reprises, circulé parmi les voyageurs descendus à l’hôtel, pour faire leur collecte ; mais ceux-ci non plus n’avaient pas parlé au domestique.