Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/680

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sont par groupes, serrés, compacts, ou disposés en cercles, comme un paysage disséminé de la Belle-au-bois-dormant.

Puis, ainsi que le sang qui se prend et se coagule, la grande majorité de la foule a suivi le mouvement, ou plutôt l’immobilité ; et rien n’est plus étrange que d’avoir sous les yeux ce second spectacle du silence et de la mort apparente, de la rigidité, là où naguère sur des centaines de kilomètres s’étendaient le bruit, le grouillement et la vie.

Certains d’entre eux ont la catalepsie plus fantaisiste : soit que par hasard quelqu’un les ait au passage frôlés et déplacés, soit qu’habitués à ce genre d’exercice ils aient pris d’eux-mêmes et inconsciemment la position extraordinaire, on les aperçoit debout sur un seul pied, ou sur une seule main, la tête en bas, presque au ras du sol, dans l’attitude des clowns qui culbutent, mais immobiles toujours, et incassables, impliables, rigides comme des barres de fer.

Ce spectacle laisse une inoubliable impression. Un instant, un vent de folie, d’insenséisme, vous traverse la tête ; le monde vous apparaît de travers ; on voit double ; la nausée vous prend, et l’on se demande si, soi-même aussi, on ne va pas se catalepsier, devenir fou. Lorsque cette hallucination vous prend, il faut se méfier, se coucher tout de suite par terre, les yeux fermés, puis se faire reconduire sans regarder derrière soi ; sans quoi l’on serait pris ; c’est contagieux, irrésistible. Ce qui prouve bien encore, une fois de plus, qu’il n’y a rien là de surnaturel, mais que les forces seules de la nature, exagérées évidemment, sont en jeu.

Et pendant tout ce temps, de quinze jours à un mois, qu’il pleuve à torrents comme il sait pleuvoir en ces pays, qu’il se déchaîne des orages, un ouragan épouvantable, à travers les éléments déchaînés comme sous l’ardent et implacable soleil des insolations qui tuent instantanément, la catalepsie imperturbable continue son œuvre, le système nerveux déroule sa névrose, inconscient des hommes et des éléments ; et, dans ce milieu d’hypnose, les animaux, eux-mêmes pris, sont hystérisés.

Les chiens, les chats, les chacals, les loups, l’oiseau même qui passe, vautours, gyps ou corneilles mantelées qui pullulent en ces contrées, tout semble hésiter au passage à travers ou au-dessus de la foule ; le bœuf s’alanguit, puis s’arrête ; le chien déjà se contorsionne ; l’oiseau sent son vol s’alourdir, son cou se tend, ses yeux louchent en avant, son bec crispé se ferme, et il s’accule sur une pierre ou une branche, que spasmodiquement il étreint de ses griffes.

Le vent de la névrose souffle ; de lui-même le mimosa-pudica, la sensitive, ferment leurs feuilles comme en sommeil. Rien ne résiste, le coup d’hypnose empoigne tout et tous ; la nature entière est prise sans dé-