Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/690

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Le fou vrai est, par conséquent, un sage à sa manière ; il est calme ; il suit, avec une logique parfaite, l’idée extravagante dont il est convaincu ; son cerveau le conseille mal par intervalles et lui procure des hallucinations sur un seul point, rarement sur plusieurs ; et, comme le jugement est perdu pour lui (c’est la perte du jugement qui constitue la folie), il obéit en ce point à son impulsion, mettant d’accord par un acte juste la pensée et l’impulsion fausses qui le hantent. Il n’est donc, en réalité, pas insensé d’une façon absolue ; il a simplement perdu la notion des rapports normaux de l’acte avec la pensée, sur le point singulier et précis de son hallucination.

Et la preuve, c’est que les fous furieux les plus dangereux sont doux comme des agneaux, lorsqu’ils ont affaire à des personnes qui les traitent avec douceur en toute occasion, et surtout qui ne les contredisent pas. Cela se voit couramment dans les hospices d’aliénés : les fous, rebelles envers les gardiens qui les ont une seule fois brutalisés, sont d’une docilité étonnante dans leurs rapports avec ces anges humains, qui sont les sœurs de charité, dont ils subissent au plus haut degré la douce influence. Ne vous contentez point de ne pas contredire un fou, abondez dans son sens ; vous ferez de lui ce que vous voudrez : ce ne sera pas le moyen de l’amener à la guérison (si elle est possible), je ne le conteste pas ; mais ce qui est certain, c’est que dès lors vous le conduirez par le bout du nez comme un enfant.

Quoi qu’il en soit, le fou n’est fou que parce qu’il obéit à une suggestion cérébrale que rien ne justifie. Il tue parce qu’il se croit menacé dans son existence, parce qu’il s’hallucine persécuté et pour échapper à cette persécution. Mais l’idée seule chez lui est folle et incohérente ; l’acte lui-même, ce qu’on voit, est au contraire calme, et ne diffère en rien de celui que commet l’homme sain d’esprit, par exemple, qui tue, ou bien le criminel.

De même que d’un coup net et sec, après s’être approché d’elle en silence pour la surprendre, l’assassin frappera sa victime, de même fera le fou, tout à son aise et à sa pensée, mais sans extravagance visible ; il ne bondira pas, ne sautera pas, n’écumera pas pour frapper ou avant de frapper.

Au contraire, le possédé qui est toujours traité avec douceur, pour qui l’on prie et que l’on plaint, aura des accès de fureur, si on le touche avec un objet béni même à son insu ; car ce n’est pas lui qui agit, ni sa nature humaine.

La folie est donc une chose relative, contingente, et qui ne se voit qu’au manque de justification de l’acte commis, qu’à son énormité, qu’à son incohérence relative en l’absence de motif et de cause, puisque celle-ci