Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/70

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était fakir, gardienne de cette chambre qui était, disait-il, un lieu sacré ; qu’elle l’habitait depuis cent ans, sans avoir vu la lumière du soleil, pour tant à quelques mètres de là ; que l’esprit venait régulièrement la visiter ; qu’elle était réputée dans toute la contrée ; et que cet esprit, qui était son dieu à lui et à beaucoup d’autres, se nommait Lucif.

Plus de doute, j’étais bien dans un sanctuaire souterrain de fakirs lucifériens, une sorte d’ermitage, un autre de pythonisse indienne.

Je parcourus alors, d’un coup d’œil attentif, la chambre où je me trouvais ; c’était plus qu’une chambre, car elle avait bien cinquante mètres carrés ; en outre, on distinguait deux ouvertures indiquant l’existence d’autres pièces contiguës.

Au plafond, un peu bas, pendait la lampe, qui était en cuivre et à onze branches formant des chandeliers ; et, autant que la lumière terne, floue et fumeuse de ce lumignon me permettait de voir, je reconnus dans le mur des niches taillées à la hache et contenant comme de petits autels sur lesquels ne se trouvaient aucun objet ni aucun signe.

Cette rapide inspection terminée, je reportais mes yeux vers le lit de la vieille, vers cette moribonde à l’âge problématique. Bien qu’on cite des cas de longévité chez les Indiens tamouls, je ne pouvais me faire à l’idée qu’un être humain, vivant sous terne, pût arriver à cent cinquante-deux ans, ainsi que l’avait affirmé le Sata, se faisant sans doute l’écho d’une légende répandue dans la contrée. Maintenant, le Sata et tous ses camarades, ainsi que la femme, s’étaient agenouillés autour du lit, et, par l’ouverture d’entrée, arrivaient à la file d’autres Indiens, qui avaient été évidemment prévenus. Tout ce monde pénétrait en silence dans le sanctuaire, se glissant dans l’ombre comme des serpents ; tous finissaient par s’agenouiller, après s’être choisi une place ; personne ne soufflait mot.

La vieille femme râlait. Sous sa peau sèche comme du parchemin, dans ce corps sans liquide, momifié pour ainsi dire, et qui, réduit presque au squelette, devait à peine peser quelques kilos, on entendait aller et venir, semblable à un craquement de sac de noix, les os et les articulations. Par moment, ce bruit sinistre cessait, la vieille semblait morte ; puis, le râle recommençait, accompagné d’un sifflement lugubre.

Je m’approchai. Jamais, dans ma longue carrière de médecin, je n’avais vu agoniser de la sorte : une agonie sèche, sans sueur, sans affres ; on eût dit une chrysalide, une coque, au fond de laquelle quelque chose remuait, d’où le papillon allait sortir. Instinctivement, je me demandai si l’âme de la prêtresse fakir pouvait avoir gardé encore quelque chose du souffle divin. Non, certes, pensai-je ; cette âme-là était depuis longtemps à jamais maudite, appartenait toute à Satan.

Soudain, râle et sifflement s’arrêtèrent. Était-elle morte ? Non, car elle