Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/748

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Et il descendit, en éclatant de rire, l’échelle-arrière de la passerelle et me souhaitant de nouveau bonne nuit.

Voilà, pensai-je, comment dans la vie on passe cent fois à côté du diable ; on le voit, on le relève (pour parler marine), et l’on ne se doute même pas de sa présence.

À ce moment, l’officier de quart s’approchait de moi, pour me dire, lui aussi, en riant :

— Dites donc, docteur, vous savez, je double l’opinion du commandant ; je m’en contref…iche !

Le lendemain, en effet, en parcourant le livre de loch, ce livre où, après chaque quart, l’officier inscrit scrupuleusement tous les incidents, même les plus minimes, qui se sont produits pendant ses quatre heures de passerelle, je trouvai banalement ces mots :

« À une heure, 17 minutes, 8 secondes, relevé Gibraltar par 45° tribord arrière, passé à 2 milles du feu. »

Et c’est tout.

Cependant, un incident personnel devait me prouver, la nuit suivante, que le feu que nous venions de constater sur Saint-Georges n’était pas un indice naturel.

C’est avec cet incident, cas d’une obsession à laquelle j’ai été moi-même en butte, que je terminerai ce chapitre. Ainsi que je l’ai expliqué déjà, je ne m’astreins pas à l’ordre chronologique : je préfère classer par catégories les faits que j’ai à relater ; ce qui est, au point de vue de l’étude, un procédé d’une meilleure méthode ; en suivant strictement l’ordre des dates, je n’aboutirais, dans certains cas, qu’à faire paraître mon récit diffus, et je tiens au contraire à ce que tout ce que je raconte demeure d’une façon bien claire dans l’esprit du lecteur, sans qu’il ait besoin, à la fin de mon ouvrage, de récapituler et de se livrer à un pénible classement ; d’autant plus que bien des lecteurs, opérant alors, risqueraient de commettre des erreurs, et de prendre, par exemple, des faits d’obsession simple pour des faits de possession. Je crois ma méthode bonne, et je la suis ; c’est ainsi, du reste, qu’on procède dans toute étude scientifique.

Je reviens à mes officiers incrédules, qui ne sont pas rares dans la marine, et je fais ressortir, à ce propos, que l’observation m’a fait constater que l’on trouve, en général, une foi beaucoup plus intense dans la classe subalterne. Souvent, après ma visite réglementaire, il m’est arrivé de causer avec les matelots du bord ; j’ai remarqué chez eux un fond de religiosité très intelligente ; grand nombre de ces braves gens sont pieux même. Tout aumônier de la marine le dira. Ils croient, ils ne sont pas à ergoter tout le temps avec des si et des car, des pourtant et des pour-