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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/754

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pas devant lui avec force la mer furieuse, et les flots déchaînés n’allaient pas en grondant tournoyer autour de son gouvernail, insensible à la tourmente qui faisait rage, mais seulement à peu de distance tout autour.

Droit, tranquille, majestueux, il glissait rapidement sur la cime des vagues, qui semblaient le respecter et ne garder aucune trace de son passage.

Quand il fut à bonne portée de vue, quand tous les détails s’aperçurent, on constata que le fantastique navire avait un équipage digne de lui : les matelots étaient des squelettes, le capitaine paraissait être un démon.

Bientôt, le bâtiment mystérieux passa bord à bord du Saint-Marcan. Alors, une voix stridente, éclatant au milieu du fracas de la tempête qui n’avait pas cessé, fit entendre ces mots :

— Amarre à bord !

Et le bout d’un grelin tomba sur le pont du Saint-Marcan.

— Tourne à la bitte ! cria Jean Jouin, désengourdi, l’air radieux.

Mais pas un de ses matelots ne bougea ; tous étaient frappés de stupeur.

— Quand ce serait Lui ! fit Jouin.

Et il s’élança, pour saisir l’amarre. Ce furent ses dernières paroles. Il était maintenant immobile, une main appuyée sur la bitte, et l’autre tenant le bout du cordage qu’il venait de fixer solidement.

Puis, le vaisseau infernal, continuant à voguer dans le calme, malgré la tourmente de tous les éléments conjurés, entraîna à sa suite le Saint-Marcan. Jean Jouin était remorqué par le diable.

Qui pourrait savoir ce qui se passa, en cette nuit terrible, entre le capitaine et l’autre ? Jean Jouin n’en a jamais rien dit ; et ses matelots s’étaient réfugiés à fond de cale…

Le soleil venait de se lever, à Saint-Brieuc ; la mer commençait à monter, lorsque le sémaphore signala un navire en vue.

Le vent était bon : il terrissait rapidement ; à ses mâts de perroquet à flèches, on reconnut le Saint-Marcan, capitaine Jean Jouin.

Dès qu’il fut dans le port, le pont fut encombré d’une foule de curieux : les uns félicitaient le capitaine d’être arrivé premier ; les autres le louaient du bon état de son navire (car toutes ses avaries avaient disparu, on n’a jamais su comment) ; tous s’enquéraient des bâtiments qu’il avait laissés derrière lui.

À toutes ces questions, Jean Jouin répondit par une autre : il demanda le quantième du mois.

Il y avait juste sept jours qu’il avait débanqué !…