Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/854

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celui d’Urbain Grandier. Je dois dire tout d’abord que, si je vais en donner un aperçu suffisant par des extraits des pièces officielles, c’est sur les conseils mêmes d’un des respectables ecclésiastiques qui veulent bien m’honorer de leur amitié, prêtre aussi prudent et vertueux qu’intelligent et savant, et l’un des exorcistes les plus autorisés de notre pays. Le procès d’Urbain Grandier, en effet, n’est connu du grand public que par les calomnies des ennemis de l’Église. Il est donc nécessaire de le mettre sous les yeux de mes lecteurs, au moins en abrégé et en prenant certaines précautions typographiques en quelques endroits ; car ce procès a l’avantage de présenter à la fois un magicien, soit un agent diabolique actif, et des possédées, soit des instruments involontaires et passifs des démons.

Vers la fin de 1617, un jeune prêtre, Urbain Grandier, parent du célèbre théologien Nicolas Gautier et du grand érudit Gilles Ménage, prenait possession de la cure de Saint-Pierre du Marché, à Loudun. Un de ses oncles, Claude Grandier, chanoine de Saintes, avait été frappé de ses heureuses dispositions, et l’avait placé chez les pères jésuites de Bordeaux, où il fit d’excellentes études.

« Il avait le port grave, dit un de ses contemporains, et une certaine majesté qui le rendait et semblait orgueilleux. On l’a toujours admiré pour son éloquence et sa doctrine. » — « Il était docte, dit Ismaël Boullian dans une lettre à Gassendi, bon prédicateur, bien disant ; mais il avait un orgueil et une gloire si grande, que ce vice lui a fait pour ennemis la plupart de ses paroissiens. »

Gonflé de ses talents et fier de sa bonne mine, le jeune curé se crut tout permis. Recherché pour les agréments de sa personne et de sa conversation, ses succès achevèrent de le griser. En outre, il se laissa aller en chaire aux critiques les plus acerbes et aux sarcasmes les plus violents contre les ordres religieux, les capucins, les cordeliers et les carmes, ne craignant pas même de glisser dans ses discours des insinuations calomnieuses contre ces respectables moines et cherchant par tous les moyens à attirer les Loudunaises à son confessionnal. — Selon une tradition fort répandue dans le Loudunais, on disait, parmi le peuple, « que le diable, en montrant au Fils de Dieu tous les royaumes du monde, s’était réservé trois métairies qu’il faisait valoir lui-même, et qui étaient : Châtellerault, Chinon et Loudun. »

Si la popularité du curé de Saint-Pierre lui fit de nombreux ennemis, il faut reconnaître, et ses amis eux-mêmes ne l’ont jamais nié, que sa conduite prêtait grandement à la censure. Il poussa l’indignité jusqu’à se servir de son saint ministère pour mettre à mal ses jeunes pénitentes. C’est ainsi que la fille d’un de ses plus intimes amis, le procureur du roi Trincant, devint mère ; le malheureux procureur, déshonoré dans son