Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/955

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Une constatation importante faite par M. l’abbé Méric, c’est celle-ci : Rosa étant en état somnambulique, l’abbé lui récita très lentement deux vers, qu’elle devra répéter à son réveil. Le réveil a lieu ; Rosa répète, en cherchant avec effort et en hésitant beaucoup, un mot, deux mots ; mais il lui est impossible de redire les deux vers qu’elle a entendus. Endormie de nouveau, l’abbé prononce quelques mots en langue étrangère ; mais Rosa ne comprend pas, elle n’entend rien. Comme nous sommes loin des possédés, à qui l’exorciste peut parler en n’importe quelle langue, latin, grec, hébreu, et qui répond exactement en s’exprimant dans les idiomes les plus inconnus de lui !…


« Nous voici, enfin, continue M. l’abbé Méric, au point le plus délicat et le plus grave du problème : sous l’influence de l’hypnotisme, la liberté humaine paraît être abolie, et le sujet devient un instrument passif et terrible entre les mains de l’hypnotiseur…

« L’expérimentateur s’adresse devant nous à Rosa, la grande hypnotique de la Salpêtrière.

« Elle est en somnambulisme ; il lui dit à haute voix :

« — Rosa, tu voleras les gants qui sont dans la poche de monsieur. Tu les vois bien, ces gants ? — Oh ! par exemple ! non, je ne ferai jamais cela ! Je ne suis pas une voleuse, vous le savez bien ! — Mais ils sont à moi, ces gants ; il me les a pris. — Comment, ils sont à vous ? Eh bien, s’ils sont à vous, vous pouvez bien les lui réclamer. — Mais non, je ne peux pas. — Vous pouvez bien les réclamer, et mettre ce monsieur à la porte ; on ne garde pas chez soi un voleur. — Je te dis que je le veux ! Tu les prendras, et tu me les apporteras. »

« Rosa frappe du pied, s’impatiente ; mais pour empêcher la délibération et la résistance, l’expérimentateur la réveille brusquement. D’un air ennuyé, et comme si elle ne me voyait pas, elle va vers un meuble, en tire un album de photographies ; puis, s’approchant du témoin désigné, elle lui dit, en grimaçant un sourire : « Voulez-vous voir des photographies ? — Je veux bien. » Le témoin se penche vers l’album. Rosa en profite pour s’emparer des gants, qu’elle va remettre au docteur.

« Cette expérience ne me parait ni suffisante ni décisive. D’abord, comment Rosa savait-elle qu’il y avait un album enfermé dans ce meuble du docteur Charcot ? C’est que, sans doute, on l’avait déjà soumise à cette expérience plusieurs fois, et, dans la circonstance présente, elle joue inconsciemment la comédie, elle répète son rôle. Puis, rien, dans le fait dont je viens d’être témoin, ne rappelle l’action d’un voleur. Je ne constate ni défiance à l’égard des témoins, ni habileté dans le procédé, ni précaution pour n’être pas vue ; elle prend grossièrement ces gants dans la poche de portefeuille du témoin, qui la laisse faire ; elle obéit à un ordre, elle fait une commission ; elle ne commet pas un vol, et rien n’est plus facile que de le constater.

« Je demande une seconde expérience. Le docteur endort Rosa et lui dit : « Tu prendras cette épingle d’or qui est sur ce bureau, et tu me l’apporteras. » La lutte morale recommence entre le docteur et la malade. Il y a une première étape à franchir ; il lui fait entendre qu’elle a le droit de prendre cette