Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/961

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comme le cuir d’un pachyderme ; le cou enfla démesurément ; la tête se transforma en peu d’instants : c’était une tête d’éléphant. Mais les yeux étaient restés les mêmes ; ce n’était pas les yeux de la bête, c’était toujours ceux de la Ingersoll ; seulement, leur expression témoignait une sorte de fureur, rendue d’autre part par une clameur effroyable et des mouvements désordonnés de la trompe.

Tous les assistants étaient stupéfaits ; il parait que Béhémoth ne leur était jamais apparu ainsi. Cependant, bientôt tout rentra dans l’ordre. La Ingersoll se trouva soudain, dans son entier, debout sur la planche ; elle était là, comme tout à l’heure, mais d’une pâleur livide. Elle poussa un cri, tomba en arrière. Quelques frères, alertes, la reçurent dans leurs bras, tandis qu’elle murmurait : « Oh ! je ne sais pas ce qui m’est arrivé, cette fois ; j’ai beaucoup souffert, pendant un long moment. »

On causa peu de l’événement, du moins ce soir-là, dans le triangle de Haarlem-Lane. Je me retirai avec les autres. Je reviendrai plus tard sur cette affaire, qui eut des suites pour moi ; car elle a figuré parmi les griefs qui m’ont été imputés, lors de ma mise en accusation.

Ce qu’il importe de retenir ici, c’est la différence capitale qui existe entre les phénomènes de l’hystérie et ceux de la possession. On peut être déconcerté par les premiers ; mais la science finit toujours par leur trouver une cause naturelle, et ses découvertes n’arrivent jamais à pouvoir contredire les enseignements de l’Église. Au contraire, les faits merveilleux que produisent les possédés, tant actifs que passifs, sont, de toute évidence, surnaturels ; ils défient l’analyse et les explications de la science humaine. En dehors du cas de la Ingersoll, je pourrais en citer bien d’autres, soit à ma connaissance personnelle, soit rapportés par des témoins, dont plusieurs, qui sont mes correspondants, sont des ecclésiastiques. Mais je crois que ce qui vient d’être dit est suffisant ; au surplus, le lecteur voudra bien revoir, en y donnant sa plus grande attention, les pages que j’ai consacrées aux procès officiels, authentiques, de possession (principalement ce qui concerne les affaires dites des possédées d’Auxonne, de Nicole de Vervins, et d’Urbain Grandier). En repassant mes résumés de ces procès, et en ayant bien présent à l’esprit tout ce qu’il sait maintenant de l’hystérie, il se convaincra sans peine que les phénomènes connus et avérés en matière de possession n’ont aucun rapport, aucune analogie, pas la moindre ressemblance, avec les faits, même les plus extraordinaires, accomplis par des hystériques.

L’hystérique à l’hôpital, le possédé à l’église, voilà leurs places à tous deux. Encore, je me trompe ; car, à Lourdes, par exemple, l’hystérique pourra être guéri, comme le possédé aura de grandes chances d’y être délivré ; tandis qu’à la Salpêtrière, ni l’un ni l’autre ne guériront jamais !