Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/960

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pouvoir que Dieu donne au prêtre, tandis que, chez la Ingersoll (possédée active), ils sortent d’eux-mêmes, pour aller commettre ailleurs leurs méfaits ordinaires contre les âmes, certains de toujours trouver l’habitation prête à les recevoir.

Dans le local de Haarlem-Lane, où j’ai vu la Ingersoll, toute une soirée, j’ai pu constater par moi-même que les Mages évocateurs ne prenaient pas la peine de plonger le sujet dans un sommeil quelconque. Une oraison du rituel luciférien, et cela suffit. La jeune femme, assise jusqu’alors sur un trépied de fer, se leva toute droite, sans aucune raideur cataleptique, sourit et s’avança vers les initiés. « Je sens l’esprit, dit-elle. — Qui es-tu ? demanda un des Mages Élus. — Béhémoth. — Quel est ton signe ? — Que quelqu’un touche mes bras. » Je m’approchai, et d’une main je saisis le bras droit de la Ingersoll. Il était naturel, palpable ; je le tenais très bien. « Prends l’autre », me dit-elle. J’essayai : le bras gauche était impalpable. Je fermais la main sur lui, sans rien saisir, et pourtant je le voyais bien, ce bras gauche : elle le levait, le baissait, ne le retirait pas quand je venais pour le prendre, et mes doigts ne touchaient rien ; seulement, j’éprouvais chaque fois, dans le creux de ma main, la sensation d’une brûlure vive, comme si ce néant cachait des flammes invisibles. Puis, ce fut le bras gauche qui redevint palpable, et le même jeu recommença avec le bras droit. J’étais fixé ; il n’y avait aucune supercherie, et, dans le corps de cette femme, il y avait bien vraiment un démon.

On apporta une planche, massive, épaisse de huit ou dix centimètres, pas davantage ; on l’installa sur deux tréteaux. La Ingersoll monta sur cette table improvisée ; elle se tenait debout. Tout à coup, son corps se mit à descendre, et ses vêtements avec le corps, comme si un trou subit s’était fait, lui livrant passage ; mais, au-dessous de la planche, ou ne voyait que le vide, comme auparavant. Elle descendit ainsi jusqu’à mi-corps. Pourtant, la basse moitié de son corps n’était pas entrée dans la planche ; c’était matériellement impossible : le bois n’avait pas absorbé ce demi-corps humain. Plusieurs d’entre nous saisirent des épées et les agitèrent au-dessous de la planche ; je fis comme eux : je ne frappai que le vide. La moitié du corps de la Ingersoll avait absolument disparu.

J’eus alors l’idée de me livrer, à mon tour, à une expérience. Tandis que frères et sœurs du Palladium poussaient des cris de joie et proclamaient, en un cantique luciférien, la puissance du Dieu-Bon, et qu’ils le priaient de faire apparaître l’esprit possesseur sur les traits de la jeune femme, je récitai en moi-même, mentalement, l’Ave Maria. À ce moment, le haut du corps de la Ingersoll, la partie supportant la tête, se mit à grossir de façon monstrueuse ; la peau devint gris sale, rugueuse,