Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/99

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mêlé, et dont j’ai le devoir de faire le récit, quel que soit le mépris public qui pourra en résulter pour le sieur D***, sa sœur Fausta S*** et sa fille Arabella.

Une question de religion, comme si la diversité d’humeur et de caractère ne suffisait pas, séparait encore D*** et sa seconde femme. On sait que le protestantisme anglais se subdivise en plusieurs sectes, dont les deux principales sont les épiscopaux et les presbytériens. D*** est extérieurement presbytérien, et en réalité socinien, ce qui équivaut à sataniste ; car la doctrine secrète des sociniens est le gnosticisme, le système de la divinité double, comportant l’adoration de Lucifer, présenté comme le dieu bon. Par contre, mistress Annie appartenait, par sa famille, à l’anglicanisme, en d’autres termes, à l’église épiscopale, qui reconnaît le symbole des apôtres et celui de Nicée, qui admet la Trinité, le dogme de l’incarnation de Jésus-Christ, la résurrection, la divinité du Saint-Esprit, les sacrements du baptême, de la pénitence et de l’eucharistie, tout en rejetant la présence réelle dans celui-ci et en laissant la confession facultative ; on sait que les épiscopaux, ainsi nommés parce qu’ils ont conservé une grande partie de l’ancienne hiérarchie catholique, contrairement aux presbytériens, rejettent aussi la croyance au purgatoire, l’efficacité des indulgences, le culte de la Mère de Dieu et le culte des saints. D*** et sa seconde femme allaient donc, chacun de son côté, à un temple différent, milady avec miss Mary, et D*** avec mistress Fausta et miss Arabella.

Donc, pendant la traversée de Madras à Calcutta, je m’entretins souvent avec mes deux passagères. Plus tard, quand je quittai Calcutta, j’eus encore mistress D*** et sa fille à bord du Meïnam ; là, nous reprîmes nos conversations, et c’est ainsi qu’en recousant plus tard les lambeaux de l’histoire de cette famille, je l’eus tout entière, ou à peu près, mes observations et mes découvertes postérieures complétant ce qui m’avait été dit d’abord.

Naturellement, nous causâmes religion à plusieurs reprises. Je remarquai que mes interlocutrices avaient des tendances à s’éclairer. Elles m’écoutaient avec plaisir ; par malheur je n’étais pas assez fort théologien pour résoudre les quelques difficultés qu’elles me soulevaient. Mais il est un point sur lequel je réussis à les toucher, surtout miss Mary ; la sainte Vierge était sa patronne, en somme : pourquoi les protestants s’obstinaient-ils à ne pas rendre a la divine Mère de Jésus le culte qui lui est dû ? ce culte n’est-il pas le côté le plus touchant de notre religion ? la Reine des anges n’est-elle pas la meilleure consolatrice au milieu de nos peines ? la prier, n’est-ce pas reprendre espoir dans les tristes combats de la vie ?…