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çonné et où je croyais à l’interprétation du Frère 301, cette statue du Baphomet m’était fort antipathique. Non seulement je la trouvais laide, repoussante ; j’allais plus loin : je la jugeais sans art aucun, grotesque, ridicule, car on sait qu’il est de belles horreurs, des figures effrayantes et néanmoins artistiques.

Lorsque je fus seule, dans le Sanctum Regnum, j’avais donc là, devant moi, le Palladium onze fois sacré, le Baphomet qui avait servi et sert encore de modèle à tous autres, le Baphomet du Temple de Paris et de Jacques de Molay, martyr, au sentiment des maçons et des palladistes.

La salle n’avait aucun flambeau, aucune lampe, aucun foyer quelconque de lumière naturelle pour l’éclairer, et pourtant je n’étais pas dans l’obscurité. Je voulus me rendre compte de ce qui produisait cet éclairage étrange, incompréhensible. Il y avait comme une nappe de lueurs, plus vives que les phosphorescences, moins intenses que celles qui se seraient dégagées de transparents lumineux ; et cela était étendu sur les trois murailles qui forment les trois côtés du Sanctum Regnum. On sait que ce premier sanctuaire du Palladisme, et le plus vénéré, est une assez grande salle de forme triangulaire, aux murs d’une épaisseur formidable, épais comme des culées de pont, et tout en granit.

Cette nappe de lueurs qui tapissait les murailles latérales me surprenait, d’autant plus que le sol et le plafond restaient sombres, noirs. La position assise m’avait reposée un peu je me levai, et j’allai au mur. On m’avait dit, il est vrai, de demeurer sur mon siège, pour méditer ; je ne pensais pas transgresser l’ordre de Pike, puisque je n’avais pas encore commencé ma méditation.

La muraille était parsemée de minuscules flammes, à peine plus grosses que des têtes d’épingles. Cela ne jaillissait pas, cela ne tremblotait pas non plus ; cela était comme une sueur de feu. J’approchais ma main, je sentis une chaleur douce ; les petites flammes léchaient mon épiderme sans produire aucune brûlure. Il me sembla que ces flammes étaient vertes. Je n’avais jamais rien vu de semblable.

Cependant, au fond de l’un des angles aigus de la salle, le Baphomet se distinguait très nettement ; plus que jamais, je considérais horrible cette statue aux monstrueuses formes.

Je revins m’asseoir. J’entrepris ma méditation, tantôt les yeux ouverts, tantôt les fermant. Quand je regardais, je voyais le Palladium, avec sa tête d’immense bouc. Il semblait parfois s’animer, le monstre !

Il me paraissait qu’il dardait sur moi un regard scrutateur, qu’il s’efforçait de lire dans ma pensée. Oh ! ma pensée ne lui était pas favo-