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Page:Taxil, Mémoires d'une ex-palladiste parfaite, initiée, indépendante.djvu/267

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Quant à moi, je ne sais rien de plus sur l’étrange disparition de mon ancêtre. Il m’est certain, aujourd’hui, que j’ai été trompée par les démons, trompée comme le sont tous ceux qui, entrés de bonne foi dans le Palladisme, croient sincèrement à la bonté de Lucifer. Le nombre est assez grand de mes ex-Frères et de mes ex-Sœurs qui sont dans ce cas ; du moins, j’aime à le penser. Il faut les plaindre et prier pour eux et elles beaucoup, beaucoup.

Enfin, en ce qui me concerne, je suis convaincue que le lecteur catholique a bien compris, maintenant, dans quelles dispositions d’esprit je me trouvai, lorsque mon père jugea le moment venu de mon initiation. La principale base de mon éducation luciférienne avait été l’enseignement, à fortes doses admiratives, de la vie de Philalèthe ; l’ancêtre, le glorieux ancêtre était, pour ma vie, pour la mission à laquelle on m’avait formée, l’étoile polaire brillant dans la nuit et indiquant l’invariable Nord. Le catholicisme était connu de moi à rebours ; le Dieu des chrétiens était, à mes yeux, le dieu du mal, l’auteur de toutes les misères et douleurs dont souffre l’humanité.

Ma mère, excellente Française, protestante des Cévennes, aimait tendrement mon père : elle n’intervint jamais dans mon éducation, dont il eut la direction exclusive, avec le concours de mon oncle, célibataire ; je reçus ainsi une instruction essentiellement masculine.

Très opposé au système de J.-J. Rousseau, qui fait pivoter l’éducation des femmes tout entière autour de l’art de plaire, mon père, dès que je fus un peu grandette, me traita pour ainsi dire en garçon. Il ne lui fallait pas une vraie fille pour la vocation qu’il m’inculquait. Aussi avait-il grande crainte de me confier à un précepteur quelconque, qui eut pu contrecarrer ses idées. De même, il mettait une extrême importance à ma culture physique : gymnastique, équitation, escrime, chasse, jeux de force et d’adresse, hygiéniques, certes, mais ardus, longues courses ; en un mot, tous les exercices du corps combattant les moindres tendances à la mollesse, rien n’était négligé par lui pour contribuer à mon développement musculaire et me préparer à une vie active ; car il rêvait, pour moi, un apostolat à exercer par monts et par vaux, avec voyages, souvent périlleux, dans le monde entier.

Ce fut plus même que l’éducation américaine ; cela toucha presque à l’éducation spartiate, si j’ose le dire. Et il y réussit, puisque je n’eus jamais aucune crainte des plus terribles serpents, ni des animaux féroces. Il se comparait, en riant, au centaure Chiron, élevant Achille. En outre, comme il était sudiste, aussi tenace qu’Albert Pike dans son mépris des esclaves, il regrettait que les lois ne permissent, pas d’en-