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dévorés les uns après les autres, l’humanité s’éteindra peu à peu dans ce petit pays. »

« Puis, ayant dit cela, le Dieu-Mauvais réfléchit encore. Il pensa, que le Dieu-Bon mettrait sans doute obstacle à l’œuvre destructrice du méchant crocodile. Que faire pour assurer la réussite du massacre des petits enfants ?

« Après avoir réfléchi, le Dieu-Mauvais dit encore au méchant crocodile :

« — Je te fais immortel. »

« Alors, le Dieu-Mauvais rentra dans son royaume humide, et le méchant crocodile se mit à l’œuvre de mal.

« Sa ruse était l’imitation du petit enfant qui pleure.

« Les petits enfants des hommes ont une bonne nature. Lorsque ceux de ce petit pays entendaient la voix traîtresse du méchant crocodile, ils couraient vers l’endroit d’où partaient les lamentations enfantines ; leur bonté native leur faisait un devoir d’aller secourir leur semblable. Soudain, le méchant crocodile sortait des herbes parmi desquelles il se tenait caché ; il se jetait sur les petits enfants, les saisissait, et son immonde et féroce gueule les dévorait.

« Les papas et les mamans étaient dans la désolation ; tous les petits enfants disparaissaient les uns après les autres ; jamais un seul n’échappait au massacre, pour venir dire aux familles quel était le criminel destructeur.

« Le Dieu-Mauvais sortait de temps en temps de son royaume humide, afin de contempler le massacre. En contemplant le massacre, le Dieu-Mauvais caressait sa grosse barbe. Le Dieu-Mauvais était content.

« Un jour, un vieillard du petit pays — il passait pour un sage, — rassembla les familles et leur tint ce langage :

« — Mes bons amis, nous sommes tous désolés, parce que tous les petits enfants disparaissent. C’est une fatalité. N’ayez plus d’enfants désormais, ainsi personne ne versera plus des larmes dans le pays. »

« Mais voici qu’un autre vieillard se leva à son tour, et celui-ci était encore plus sage que l’autre. Le second vieillard dit :

« Mes bons amis, écoutez-moi, et suivez mon conseil. Il ne faut pas se courber sous le joug du malheur. Prions tous le Dieu-Bon avec confiance, et il fera cesser le malheur. »

« La voix du second vieillard fut écoutée ; son conseil fut suivi. Tous les papas et toutes les mamans supplièrent le Dieu-Bon de sauver l’humanité de ce petit pays.

« Le Dieu-Bon aime les humains comme une mère et plus tendrement encore qu’une mère. Il envoya un chat noir dans le petit pays, après lui avoir dit :

« — Chat noir, sauve les petits enfants ; je te fais immortel. »

« Alors, le beau chat noir sauta sur le méchant crocodile ; ils luttèrent. Le crocodile était terrible, mais bête comme tout animal du Dieu-Mauvais. Le chat avait pour lui sa souplesse, son agilité et la fine intelligence que le Dieu-Bon lui donna. Le chat noir se cramponna à la tête du méchant crocodile, et à coups de griffe, il creva les yeux de la cruelle bête.