Page:Tellier - Nos poètes, 1888.djvu/24

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de Lisle se soucierait uniquement de son art, et, pareil aux olympiens, n’aurait que dédain pour nos misères ? Mais les olympiens eux-mêmes ont un cœur ; et quand ils s’émeuvent, d’aventure, leur compassion a des accents où n’atteint point celle des mortels. La sublime plainte que celle-ci !

Sombre douleur de l’homme, ô voix triste et profonde,
Plus forte que les bruits innombrables du monde,
Cri de l’âme, sanglot du cœur supplicié,
Qui t’entend sans frémir d’amour et de pitié ?
Qui ne pleure sur toi, magnanime faiblesse,
Esprit qu’un aiguillon divin excite et blesse,
Qui t’ignores toi-même et ne peux te saisir,
Et, sans borner jamais l’impossible désir,
Durant l’humaine nuit qui jamais ne s’achève,
N’embrasses l’infini qu’en un sublime rêve…
Ô conquérant vaincu, qui ne pleure sur toi ?[1].

(Sont-ce là, par parenthèse, des vers grossis et gonflés par des moyens extérieurs et artificiels, ou si, comme il me semble, une intime vertu les anime et les soulève ?)

Décidément, plus j’y songe, et plus notre fanatique de Hugo me semble injuste. Notez qu’il le serait encore plus s’il prétendait adresser ses chicanes au recueil le plus récent du poète ; et c’est

  1. Baghâvât (Poèmes antiques).