Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 1.djvu/64

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bonté de ce dieu bizarre se meuve dans un ordre inverse ; qu’elle commence par l’étranger, puisqu’on l’a imaginé ainsi. Marcion ne se maintiendra pas mieux sur un terrain qui croule d’autre part. En effet, à quelle caractère se reconnaîtra la bonté subsidiaire et applicable à un étranger ? Il faudra qu’elle s’exerce sans détriment pour le légitime possesseur. Quelle que soit la bonté, la justice en est la base nécessaire. Tout à l’heure la bonté était raisonnable, quand elle agissait dans les limites de la justice et sur une créature qui lui appartenait. Ici encore, appliquée à l’étranger, elle retient son caractère de sagesse, pourvu qu’elle soit en harmonie avec la justice. Mais, ô la bonté singulière que celle qui débute par la spoliation, et cela en faveur d’un étranger ! Qu’infidèle à la justice au profit d’un membre de la famille, elle paraisse encore jusqu’à un certain point raisonnable, on le comprend. Mais s’agit-il d’un étranger, qui n’a pas même droit à une vertueuse bienveillance, je ne vois plus là que violence et désordre. Connaissez-vous en effet rien de plus injuste, rien de plus inique, rien de plus méchant que de secourir l’esclave d’autrui pour l’arracher à son maître, pour l’adjuger à un autre, pour le suborner contre son légitime seigneur ? Et dans quelle condition encore ? Car voilà le comble de l’infamie ; dans le palais de ce même maître ; quand on vit de ses munificences ; quand on tremble encore sous son fouet vengeur. La loi humaine condamnerait un pareil protecteur. Quel châtiment réserverait-elle au plagiaire ?

A ces traits reconnaissez le dieu de Marcion. Audacieux envahisseur d’un monde qui n’est pas à lui, il arrache l’homme à son dieu, le fils à son père, le disciple à l’instituteur, l’esclave à son seigneur, pour faire de l’homme une créature impie, un fils dénaturé, un disciple ingrat, un esclave rebelle. Répondez ! Si tels sont les fruits d’une bonté raisonnable, qu’adviendra-t-il de la bonté contraire ? Etre baptisé dans une eau étrangère au bénéfice d’un autre