Page:Tertullien - Œuvres complètes, traduction Genoud, 1852, tome 2.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien aussitôt que l’enfant a salué la vie par ses vagissements, il atteste par là même qu’il a senti et compris qu’il était né, prenant possession de tous ses sens à la fois, de la vue par la lumière, du son par l’ouïe, du goût par les liquides, de l’air par l’odorat, de la terre par le toucher. Ce premier cri est donc poussé par les premières impulsions du sentiment et de l’intellect. Il y a mieux. Quelques-uns interprètent ce gémissement si plaintif comme arraché par l’aspect des misères de la vie, et le pressentiment de ses tribulations futures ; d’où il faudrait conclure que cette âme est douée d’une sorte de prescience, à plus forte raison de l’intellect. Ensuite le nouveau-né distingue par l’odorat sa mère, examine par l’odorat sa nourrice, reconnaît par l’odorat la femme qui le porte ; il repousse le sein d’une étrangère, il se refuse à un berceau qu’il ne connaît pas, et ne s’attache à personne que par l’habitude. D’où lui vient ce discernement entre ce qui est nouveau ou connu pour lui, s’il n’a pas de sentiment ? D’où vient qu’il s’irrite ou s’apaise, s’il ne comprend pas ? Il serait par trop étonnant que l’enfance fût naturellement intelligente sans avoir l’esprit, et naturellement capable d’affection, sans avoir l’intellect : mais le Christ, « en tirant sa louange de la bouche des nouveau-nés et des enfants encore à la mamelle, » n’a pas déclaré que la première et la seconde enfance fussent dépourvues de sentiment. L’une, se présentant devant lui, avec ce suffrage, a pu lui rendre témoignage ; l’autre, immolée pour lui, a senti par conséquent la violence.

XX. Ici donc nous concluons que toutes les facultés naturelles de l’âme, sont en elles-mêmes, comme inhérentes à sa substance, grandissant et se développant avec elle, à dater de sa naissance, ainsi que le dit Sénèque qui se rencontre souvent avec nous : « Les semences de tous les arts et de tous les âges sont déposées au fond de nous-mêmes. Dieu, notre maître intérieur, produit secrètement nos aptitudes, » c’est-à-dire les fait sortir des semences qu’il a