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TERTULLIEN.

dans le péril, on se dérobe au remède avec une attention cruelle ; il en coûte moins de mourir que de travailler à sa guérison. Voyez, en effet, ce qui arrive au plus grand nombre : ils fuient les secours qui leur rendraient la vie, les uns par extravagance, les autres par pusillanimité, ceux-là par une honte mal entendue. La médecine humaine a aussi ses rigueurs : le scalpel, la cautérisation, l’aiguillon du sinapisme. Je n’appellerai pas cependant un mal l’amputation, la cautérisation ou le sinapisme, puisqu’ils m’apportent d’utiles douleurs. Loin de répudier ces opérations parce qu’elles me contristent, je les invoquerai parce que nécessairement elles me contristent. Les avantages de l’opération en adoucissent l’horreur. Ce malade hurle, bondit, pousse des gémissements entre les mains du médecin. Sans doute ; mais il va combler de présents ces mêmes mains qu’il accusait tout à l’heure. Hier elles étaient cruelles ; aujourd’hui elles ne sont qu’habiles et bienfaisantes. Il en est de même du martyre. S’il paraît sévir, ce n’est que pour sauver. Ne sera-t-il pas permis également à Dieu de guérir pour l’éternité, par la flamme et par le fer, chacune de nos blessures.

Admirez encore ici la sagesse du médecin. Il oppose aux ravages de la maladie des remèdes dont la nature est analogue, lorsque, suivant une méthode en apparence contradictoire, il soulage nos affections par nos affections elles-mêmes. En effet, il arrête l’inflammation par une inflammation plus forte ; il éteint la chaleur de la fièvre par l’aiguillon de la soif ; il diminue le débordement de la bile par des potions amères ; enfin il rappelle par l’incision de la veine le sang qui s’échappe. Et vous, vous croirez devoir accuser un Dieu, et un Dieu jaloux encore, lorsqu’il veut lutter contre un principe malfaisant[1], nous venir en aide, en opposant outrage à outrage, détruire la mort par la mort, repousser l’immolation par l’immolation, éloi-

  1. L’idolâtrie.