Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/166

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vu, j’ai pénétré les secrets de votre cœur, sir Pitt, et si mon mari avait votre intelligence, comme il a votre nom, je suis sûre que j’aurais encore su me rendre digne de lui ; mais, ajoutait-elle avec un sourire, je suis du moins votre belle-sœur, et à ce titre, malgré l’humilité de ma condition, je vous porte le plus tendre intérêt. Qui sait si la souris ne pourra pas un jour rendre service au lion ? »

Ces paroles laissaient Pitt Crawley dans l’admiration et l’enthousiasme.

« Voilà au moins, disait-il en lui-même, une femme qui vous comprend : ce n’est pas Jane qui aurait ouvert cette brochure sur les céréales. Elle qui n’a pas l’air de se douter de mon ambition et de mes talents. Ah ! ah ! on se rappelle mes discours à Oxford ; ah ! messieurs, parce que je dispose d’un bourg et que j’ai un siége au parlement, vous commencez à penser à moi. Ce lord Steyne, qui l’année dernière ne daignait pas m’honorer d’un coup d’œil à la cour, a fini par découvrir qu’il pouvait bien y avoir quelque chose dans Pitt Crawley ; mais cependant c’est le même homme, mes beaux messieurs, que vous négligiez naguère encore, l’occasion seule jusqu’ici avait manqué. Allez, allez, on vous montrera qu’on sait parler et agir aussi bien qu’on écrit. Achille ne se révéla qu’après qu’on lui eut présenté des armes ; ces armes qui m’avaient manqué jusqu’ici, je les tiens maintenant, et le monde aura bientôt des nouvelles de Pitt Crawley. »

On comprendra pourquoi notre diplomate, naguère si revêche, se montrait désormais si facile et si affable ; si assidu au service religieux et aux assemblées de bienfaisance, si empressé auprès des doyens et des chanoines, si disposé à donner et à accepter à dîner ; si poli à l’égard des fermiers les jours de marché ; si préoccupé des affaires du comté, pourquoi enfin aux fêtes de Noël le château offrit le spectacle d’une animation et d’une gaieté inusitées depuis longues années.

On profita de cette solennité pour réunir toute la famille : les Crawley du rectorat furent invités au château. Rebecca mit autant d’abandon et de franchise dans ses rapports avec mistress Bute que si le moindre nuage ne s’était jamais élevé entre ces deux femmes. Rebecca s’occupa de ses chères demoiselles avec le plus vif intérêt, et se montra tout émerveillée de leurs progrès en musique ; elle les pria avec instance de répéter un