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Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/19

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amie de ma tante et sa plus fidèle compagne, miss Briggs, que vous connaissez déjà à un autre titre, comme auteur des Harmonies du cœur, ces charmantes poésies qui font vos délices. »

Lady Jane rougit beaucoup, tendit sa petite main à miss Briggs, lui fit un compliment tout à la fois très-poli et très-inintelligible, parla de son désir d’aller voir miss Crawley, du bonheur qu’elle aurait à connaître les parents et les amis de M. Pitt ; puis, avec un regard doux comme celui d’une colombe, elle prit congé de Briggs, à laquelle M. Pitt fit un salut vraiment digne de ceux qu’il adressait à la grande duchesse Poupernicle lorsqu’il était attaché comme envoyé extraordinaire à sa cour.

L’adroit diplomate avait bien profité des leçons du machiavélique Binkie. C’était lui qui avait donné à lady Jane l’exemplaire des poésies de Briggs, qu’il avait ramassé dans un coin à Crawley-la-Reine, exemplaire enrichi d’une dédicace adressée par cette huitième muse à la première femme du baronnet. Il avait apporté ce volume à sa fiancée, ayant d’abord eu le soin de le lire pendant la route et de marquer au crayon les passages dont la douce lady Jane devait se montrer le plus frappée.

M. Pitt fit briller aux yeux de lady Southdown les immenses avantages qui pourraient résulter d’une plus grande intimité de rapports avec miss Crawley ; il les lui montra surtout comme alliant à la fois l’intérêt de ce monde à celui du ciel. Miss Crawley vivait désormais seule et abandonnée ; ce réprouvé de Rawdon, par ses écarts monstrueux, par son mariage, s’était aliéné sans retour les affections de sa tante. La tyrannie intéressée de mistress Bute Crawley avait poussé la vieille fille à se révolter contre les prétentions envahissantes de sa cupide parente. Quant à lui, bien qu’il se fût abstenu jusqu’à ce jour par un orgueil exagéré peut-être de toute marque de déférence ou de tendresse à l’égard de miss Crawley, il pensait que le moment était venu d’arriver par tous les moyens possibles à arracher cette âme à l’ennemi du genre humain, et à assurer à sa personne l’héritage de sa chère parente, en sa qualité de chef de la maison Crawley.

Lady Southdown, la femme forte de l’Écriture, tomba d’accord sur tous ces points avec son futur gendre ; et dans l’ardeur de son zèle, la conversion de miss Crawley lui semblait l’affaire d’un tour de main. Dans ses domaines de Southdown,