cette géante de la vérité ne daignait-elle pas elle-même parcourir en calèche les campagnes qu’elle voulait initier à la grande lumière ? N’envoyait-elle pas de tous côtés des émissaires chargés d’inonder le pays d’une pluie de ses manuels ? Gros-Jean recevait ainsi l’ordre de se convertir sans délai ; Petit-Pierre, de lire sa prose sans résistance ni appel au clergé régulier.
Milord Southdown, nature épileptique et obtuse, approuvait et ratifiait les faits et gestes de sa Mathilde. Les croyances de milady se transformant sans cesse, ses opinions variaient à l’infini, par suite de la multitude des docteurs dissidents admis dans son intimité. N’importe quiconque était dans sa dépendance, devait la suivre pas à pas et les yeux fermés. Qu’elle s’adressât, suivant son caprice du moment, au révérend Saunders Mac Nitre, le divin Écossais, ou au révérend Luke Waters, l’angélique Wesleyen, ou à Giles Jowis, le savetier illuminé, enfants, domestiques, fermiers, tout le monde était tenu d’aller, à la suite de milady, s’incliner devant eux et de dire Amen à chacune des professions de foi de ces différents docteurs.
Pendant les exercices de piété, milord Southdown, usant du bénéfice de son tempérament souffreteux, obtenait l’autorisation de rester dans sa chambre à boire du vin chaud, tout en écoutant lire son journal. Lady Jane était la préférée du vieux comte, mais aussi elle l’entourait des soins les plus tendres et les plus sincères. Quant à lady Émilie, auteur de la Blanchisseuse de Finchley-Common, elle peignait sous des couleurs si terribles les châtiments de l’autre monde, qu’elle jetait l’épouvante dans l’esprit craintif de son vieux père et que ses accès d’épilepsie, d’après l’avis des médecins, avaient pour principale cause les sermons de cette enthousiaste prédicante.
— Eh bien ! oui, j’irai la voir, répondit lady Southdown à M. Pitt, en se rendant à la logique puissante du prétendu de sa fille. Savez-vous quel est le médecin de miss Crawley ? »
M. Crawley nomma M. Creamer.
« Un praticien des plus dangereux et des plus ignorants, mon cher Pitt. La providence, dans ses adorables desseins, a permis que je lui serve d’instrument pour en purger déjà plusieurs maisons ; deux ou trois fois, malheureusement, je suis arrivée trop tard ; entre autres, chez ce pauvre général Glanders qui allait mourir entre les mains de cet âne fieffé. Grâce