Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/337

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Espérons qu’elle se trompait dans cette appréciation de l’avenir, car cet humble asile avait donné bien peu de jours de bonheur à la pauvre Emmy. La fatalité semblait s’y être appliquée à l’y persécuter, et elle éprouva un sentiment pénible toutes les fois qu’elle fut obligée de revenir dans cette maison et de se trouver en face de la femme qui l’avait tyrannisée, dont elle avait eu à essuyer les bourrades et les reproches, et même la brusque familiarité, chose qui ne lui était pas moins pénible. Les serviles protestations de bons offices qu’Amélia en reçut lorsqu’elle se trouva en pleine voie de prospérité furent loin d’être beaucoup plus agréables à cette dernière. Sa voix n’avait pas assez d’inflexions diverses pour témoigner de son admiration pour cette nouvelle maison et pour l’ameublement qui la décorait. Elle tâtait avec les doigts toutes les robes de mistress Osborne et en estimait la valeur ; elle protestait bien haut et bien fort que rien n’était trop beau pour une si excellente dame. En recevant ces banales flatteries, Emmy ne pouvait s’empêcher de se souvenir que c’était la même bouche dont les grossières et cruelles paroles lui avaient causé de si vives souffrances ; que c’était la même personne qui la recevait si mal lorsqu’il lui était arrivé de lui demander des délais pour payer son terme ; qui la taxait de folles dépenses lorsque par hasard elle achetait quelques petites douceurs pour son père et sa mère souffrants, qui enfin avait pris plaisir à lui faire avaler jusqu’à la lie le calice de l’humiliation.

Personne ne saura jamais tous les chagrins qui ont joué un si grand rôle dans la vie de cette pauvre femme ; elle ne voulut point les laisser voir à son père dont l’imprévoyance était la cause principale de ses afflictions, et supportait sans se plaindre les conséquences d’une faute à laquelle elle était étrangère. Par sa nature humble et douce, elle semblait prédestinée au rôle sublime de l’immolation.

Il n’est pas de malheur qui n’ait, dit-on, son bon côté. En effet, la pauvre Marie éprouva un si violent accès de douleur du départ de son amie, qu’il fallut la confier aux mains du jeune aide en chirurgie dont les soins la rétablirent au bout de quelque temps. Emmy, en quittant Brompton, laissa en souvenir à Marie tous les meubles que cette maison renfermait. Elle enleva seulement les tableaux placés au-dessus du chevet de son lit ainsi que son vieux piano, son vieux piano dont les