été interrompus, car Raggles venait aider M. Bowls toutes les fois que miss Crawley recevait ses amis. Ce brave homme fut enchanté de louer sa maison au colonel, et il s’offrit même pour remplir les fonctions de sommelier les jours de réception. Dans ces grandes occasions, mistress Raggles s’établissait à la cuisine et y confectionnait des dîners auxquels la vieille miss Crawley elle-même n’eût pas été indifférente. Voilà de quelle manière Crawley s’y prit pour monter sa maison sans qu’il lui en coûtât un sou. C’était sur Raggles que retombait le soin de payer les impôts et les réparations, les intérêts de l’argent emprunté, la pension de ses enfants, la nourriture des siens et même quelquefois celle du colonel Crawley ; le lot du pauvre diable était de se voir ruiné de fond en comble par le marché qu’il venait de conclure, de voir ses enfants jetés sur la paille et lui-même enfermé dans la prison pour dettes. Il faut bien toujours que quelqu’un finisse par payer pour les industriels qui savent vivre sans un sou de revenu, et le hasard avait désigné le malheureux Raggles pour suppléer aux fonds qui manquaient à l’appel dans la bourse du colonel Crawley.
Rawdon et sa femme donnèrent généreusement leur pratique aux anciens fournisseurs de miss Crawley qui vinrent leur faire offre de services. Les plus pauvres étaient les plus exacts. Tous les samedis, la blanchisseuse arrivait avec sa charrette pour rendre le linge à la maîtresse du logis, et en échange elle ne recevait jamais d’argent ; on la remettait toujours à la semaine suivante. M. Raggles lui-même ne se lassait point de fournir les légumes. La note pour la bière de cuisine à l’estaminet de la Gloire restera comme une curiosité parmi les choses de ce genre. La plus grosse partie des gages était due à tous les domestiques, et ils se trouvaient par là intéressés au maintien de la maison. En somme, on ne payait personne, pas plus le serrurier qui ouvrait les portes que le vitrier qui remettait les carreaux, que le carrossier qui louait la voiture, que le cocher qui la conduisait, que le boucher qui fournissait les gigots de mouton, que le charbonnier qui envoyait de quoi les rôtir, que le cuisinier qui les accommodait, que les domestiques qui les mangeaient, et en cela, soyez-en sûr, on faisait comme beaucoup de gens qui savent mener grand train sans avoir un sou de revenu.
Dans une petite ville, de semblables faits ne se passent point