Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/85

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les chances, il envoyait des prospectus à ses amis, faisait mettre une nouvelle plaque de cuivre sur sa porte, et parlait avec emphase de ses espérances de reconquérir son ancien état d’opulence et de prospérité. Mais la fortune ne revient jamais à ceux qu’elle a une fois brisés et renversés. Il avait vu tous ses amis l’abandonner l’un après l’autre pour se soustraire à de nouvelles offres de charbon incombustible et d’autres denrées qui leur coûtaient assez cher. Sa femme seule, à force de le voir partir chaque matin clopin-clopant pour aller faire la bourse à la Cité, conservait seule encore quelques illusions sur les résultats de ses opérations commerciales.

Le soir, c’était à grand’peine que, traînant la jambe, il regagnait son humble toit. La soirée se passait pour lui dans une mauvaise petite taverne où, devant un auditoire attentif, il faisait la répartition des deniers de l’Angleterre, absolument comme s’ils eussent été à sa libre disposition. C’était merveille de l’entendre parler de millions, d’affaires de Bourse et d’escompte, la bouche toujours pleine du nom de Rothschild. Il parlait de si grosses sommes, que les principaux habitués de la taverne, l’apothicaire, l’entrepreneur des pompes funèbres, le charpentier, le clerc de la paroisse, et M. Clapp, notre vieille connaissance, se sentaient saisis de respect pour son éloquence et ses capacités financières.

« Autrefois, monsieur, ne manquait-il pas de dire à tous les nouveaux visiteurs du café, j’étais dans une brillante position ; mon fils, monsieur, est, à l’heure qu’il est le plus important magistrat de Rangoon à la présidence du Bengale, il est appointé à quatre mille roupies par mois. Ma fille, si elle le voulait, serait femme d’un colonel. Je pourrais tirer, s’il m’en prenait fantaisie, un billet de deux mille livres sur mon fils, le premier magistrat de Rangoon, et le premier banquier de Londres me l’escompterait argent sur table ; mais, monsieur, les Sedley ont toujours eu le sentiment de leur dignité. »

Ne vous moquez point, ami lecteur, car il pourrait vous arriver quelque beau matin de vous trouver en pareille situation. Combien ne voyons-nous pas de nos amis rouler ainsi autour de nous dans l’abîme. La chance peut nous abandonner, nos facultés nous trahir ; nous pouvons voir notre place enlevée par de plus jeunes et de plus vigoureux champions ; et quand le tourbillon nous aura jetés sur le bord de la route, comme ces débris