Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/194

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ment ? C’est en proie à ces méditations qu’elle écrivit la lettre suivante :

Très-cher ami,

La grande crise dont nous avons si souvent parlé va enfin éclater. La moitié de mon secret est connue et de mûres réflexions m’ont persuadée que le temps était enfin arrivé de révéler tout ce mystère. Sir Pitt est venu me voir ce matin, et pourquoi ? devinez… Pour me faire une déclaration en forme. Qu’en pensez-vous ? Quel malheur ! j’aurais pu devenir lady Crawley. Qu’aurait dit mistress Bute, qu’aurait dit cette bonne tante, surtout en me voyant prendre le pas sur elle ? Je me serais trouvée la maman de certaine personne au lieu d’être sa… Oh ! je tremble, je tremble quand je pense que bientôt il faudra tout dire.

Sir Pitt sait que je suis mariée ; mais à qui ? il l’ignore, et, grâce à cela, n’en est pas autrement fâché. Actuellement ma tante n’est pas contente de mon refus aux propositions du baronnet, mais cependant elle est toute bonté et toute tendresse. Elle veut bien reconnaître que j’eusse été pour lui une excellente femme et déclare qu’elle tiendra lieu de mère à votre petite Rebecca. Quel coup pour elle à la première ouverture qui va lui être faite ! Mais qu’avons-nous à craindre, sinon une colère d’un moment ? C’est mon avis, c’est ma conviction ; elle raffole trop de vous, mauvais sujet et grand vaurien, pour ne pas tout vous pardonner ; et, en vérité, je crois qu’après vous, je tiens la première place dans son cœur, et qu’elle serait très-malheureuse sans moi. Très-cher ami, une voix me dit que nous en sortirons victorieux. Vous laisserez là cet affreux régiment, le jeu, les courses, et vous deviendrez un honnête garçon ; nous vivrons tous ensemble à Park-Lane, et nous hériterons un jour de tout l’argent de ma tante.

Je tâcherai d’aller me promener demain à la place ordinaire. Si miss Briggs m’accompagne, venez dîner et apportez-moi la réponse que vous mettrez dans le troisième volume des Sermons de Porteus. Mais, de toute manière, venez voir celle qui est toute à vous. R…

À miss Élisa Styles, chez M. Barnet, sellier, Knightsbridge.