Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/213

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avaient part à ces plaisirs. Le major Martingale n’aurait jamais demandé à voir leur acte de mariage. Le capitaine Cinq-Bars ne tarissait pas sur le talent que la maîtresse du logis déployait dans la confection du punch ; le jeune lieutenant Spatterdash, joueur enragé de piquet et fort souvent invité par Crawley, était complétement sous le charme de mistress Crawley : mais la modestie et la prudence n’abandonnaient jamais la nouvelle épouse, et la réputation de Crawley comme brave à trois poils et comme jaloux achevait de protéger complétement sa chère petite femme.

Il existe dans cette ville des hommes de très-bonne race et fort à la mode, qui jamais ne hasardent le pied dans un salon de femmes. Cela explique comment le mariage de Crawley pouvait faire grand bruit dans son comté, où mistress Bute se chargeait d’en répandre la nouvelle, sans être le moins du monde l’objet des préoccupations et des entretiens de la capitale. Quant à Rawdon, il vivait très-largement, mais toujours à crédit. Il avait un actif de dettes fort respectable qui, habilement exploité, pouvait mener un homme pendant encore assez longtemps ; avec des dettes, certains industriels des grandes villes savent couler une vie cent fois plus agréable que beaucoup d’autres avec de l’argent comptant.

Un jour en lisant la gazette, Rawdon trouva l’indication suivante : « Le lieutenant G. Osborne vient d’acheter le brevet de capitaine à Smith, démissionnaire ; » aussitôt il exprima sur l’amant d’Amélia des sentiments d’estime dont la conséquence fut une visite à Russell-Square.

Rawdon et sa femme auraient bien voulu à la vente se rapprocher du capitaine Dobbin et apprendre quelques détails sur la catastrophe qui avait frappé les anciens amis de Rebecca ; mais le capitaine avait disparu dans la foule, et ils ne purent obtenir de renseignements que de l’un des crieurs publics.

« Voyez tous ces museaux crochus, disait Becky, son tableau sous le bras et rentrant dans le buggy d’un pas assez allègre ; ne dirait-on pas des vautours après la bataille ?

— Je ne saurais vous dire, je n’ai jamais assisté à aucune bataille ; demandez à Martingale, qui était en Espagne aide de camp du général Blazes.

— C’était un honnête vieillard que ce M. Sedley, reprit Rebecca. Je suis bien fâché du malheur qui lui arrive.