Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/105

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j’y retournais. Je m’étais enrôlé au service anglais, où il s’était offert à moi une telle occasion de m’évader, que je n’avais pu y résister, et, là-dessus, je lui contai l’histoire de M. Fakenham de Fakenham, de façon à le faire pâmer de rire, et il me dit, plus tard, qu’il l’avait à son tour racontée un soir chez Mme de Kameke, où tout le monde mourait du désir de voir le jeune Anglais.

« Est-ce que l’ambassadeur d’Angleterre y était ? » demandai-je du ton le plus alarmé.

Et j’ajoutai :

« Pour l’amour du ciel, monsieur, ne lui dites pas mon nom, ou il pourrait réclamer mon extradition, et je n’ai nulle envie d’aller me faire pendre dans mon cher pays natal. »

Potzdorff répondit en riant qu’il prendrait soin que je restasse où j’étais, sur quoi je lui jurai une éternelle reconnaissance.

Quelques jours après, et avec une mine assez grave, il me dit :

« Redmond, j’ai parlé de vous à votre colonel, et comme je m’étonnais qu’un garçon de votre courage et de votre mérite n’eût pas eu d’avancement pendant la guerre, le général m’a répondu qu’on avait eu les yeux ouverts sur vous ; que vous étiez un brave soldat, et étiez évidemment sorti d’une bonne souche ; qu’aucun homme du régiment n’avait été moins souvent trouvé en défaut, mais qu’aucun homme ne méritait moins d’avancement ; que vous étiez paresseux, dissolu et sans principes ; que vous aviez fait beaucoup de mal par votre exemple, et qu’avec votre mérite et votre bravoure, il était sûr que vous n’arriveriez à rien de bien.

— Monsieur, dis-je, étonné qu’aucun homme au monde eût pris une telle opinion de moi, j’espère que le général Bulow s’est mépris sur mon caractère. Je suis tombé en mauvaise compagnie, c’est vrai ; mais je n’ai fait que ce qu’ont fait les autres soldats, et surtout je n’ai jamais eu encore un bon ami et protecteur à qui je pusse montrer que j’étais capable de mieux faire. Le général peut dire que je suis un garçon perdu et m’envoyer au diable ; mais, soyez sûr de ceci, c’est que j’irais au diable pour vous servir. »

Je vis que ce discours plaisait fort à mon patron, et, comme j’étais discret et lui étais utile dans mille circonstances délicates, il en vint bientôt à se prendre d’un véritable attachement pour moi. Un jour, ou plutôt une nuit qu’il était tête à tête avec la femme du Tabaks Rath von Dose, par exemple, je… Mais à quoi bon vous parler de choses qui ne concernent personne à présent ?

Quatre mois après ma lettre à ma mère, j’eus, sous le couvert