Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/123

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poche un ciseau et un marteau, et se met à l’œuvre, comme un voleur de profession, à forcer ma petite boîte.

« C’était l’instant d’agir. Je m’avance vers lui armé d’un immense pot à eau. J’arrive sans bruit, juste comme il venait de briser la boîte, et, de toute ma force, je lui donne sur la tête un coup qui met le pot à l’eau en mille pièces, et étend mon capitaine sans connaissance à terre. Je crus l’avoir tué.

« Alors, je sonne toutes les sonnettes de la maison ; et je crie, et jure, et tempête : « Au voleur !… au voleur !… monsieur l’hôte !… Au meurtre !… au feu !… » jusqu’à ce que toute la maison monte en se culbutant.

« Où est mon domestique ? criai-je. Qui est-ce qui ose me voler en plein jour ? Voyez ce misérable que je trouve forçant mon coffre ! Envoyez chercher la police ! envoyez chercher Son Excellence le ministre d’Autriche ! Toute l’Europe saura cette insulte !

« — Juste ciel ! dit l’hôte, nous vous avons vu partir il y a trois heures.

« — Moi ! dis-je ; eh, mon brave, j’ai été au lit toute la matinée. Je suis malade… j’ai pris médecine. Je n’ai pas quitté la maison d’aujourd’hui ! Où est ce vaurien d’Ambroise ? Mais, arrêtez ! Où sont mes habits et ma perruque ? » car j’étais devant eux en robe de chambre et en bonnet de nuit.

« J’y suis !… j’y suis ! dit une petite chambrière. Ambroise est parti dans les habits de Votre Honneur.

« — Et mon argent ! mon argent ! dis-je ; où est ma bourse dans laquelle il y avait quarante-huit frédérics ? Mais il nous reste un de ces coquins. Gendarmes, saisissez-le.

« — C’est le jeune Herr von Potzdorff ! dit l’hôte de plus en plus étonné.

« — Quoi ! un gentilhomme forçant mon coffre avec un marteau et un ciseau !… Impossible ! »

« Herr von Potzdorff, pendant ce temps-là, revenait à la vie avec une bosse au crâne grosse comme une casserole ; et les officiers de police l’emportèrent, et le juge qu’on avait été chercher dressa un procès-verbal de la chose, et j’en demandai une copie, que j’envoyai sur-le-champ à mon ambassadeur.

« Je fus retenu prisonnier dans ma chambre le lendemain ; et un juge, un général, toute une armée d’hommes de loi, d’officiers et d’employés, furent mis à mes trousses pour m’intimider, me troubler, me menacer et me cajoler. Je dis qu’il était vrai que vous m’aviez raconté qu’on vous avait fait entrer