Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/124

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de force au service, que je vous en croyais libéré, et que j’avais eu de vous les meilleures recommandations. J’en appelai à mon ministre, qui était tenu de venir à mon aide ; et, pour abréger, le pauvre Potzdorff est en ce moment en route pour Spandau ; et son oncle, le vieux Potzdorff, m’a apporté cinq cents louis, avec une humble requête de quitter Berlin immédiatement et d’étouffer cette déplorable affaire.

« Je serai avec vous, aux Trois-Couronnes, le lendemain du jour où vous recevrez ceci. Invitez M. Lumpit à dîner. N’épargnez pas votre argent, vous êtes mon fils. Tout le monde à Dresde connaît votre affectionné oncle,

« Le chevalier de Balibari. »

Grâce à ces merveilleuses circonstances, je redevins libre, et je gardai la résolution que j’avais faite alors de ne plus retomber dans les mains d’aucun recruteur, et d’être à l’avenir et à tout jamais un gentilhomme.

Avec cette somme d’argent et une bonne veine que nous eûmes bientôt, nous fûmes en état de faire une figure assez passable. Mon oncle m’avait rejoint promptement à l’auberge de Dresde, où, sous prétexte de maladie, je m’étais tenu tranquille jusqu’à son arrivée ; et comme le chevalier de Balibari était tout à fait en bonne odeur à la cour de Dresde (ayant été une connaissance intime du feu monarque l’Électeur, roi de Pologne, le plus dissolu et le plus agréable des princes européens), je fus vite lancé dans la meilleure société de la capitale saxonne, où je puis dire que ma personne, mes manières, et la singularité des aventures dont j’avais été le héros, me firent particulièrement bien venir. Il n’était pas de partie dans la noblesse où les deux messieurs de Balibari ne fussent invités. J’eus l’honneur des baise-mains et d’une gracieuse réception à la cour de l’Électeur, et j’écrivis à ma mère une si flamboyante description de ma prospérité, que la bonne âme en fut bien près d’oublier son salut et son confesseur, le révérend Joshua Jowls, pour venir me retrouver en Allemagne ; mais les voyages étaient fort difficiles à cette époque, et nous évitâmes l’arrivée de la brave dame.

Je pense que l’âme de Harry Barry, mon père, qui eut toujours des goûts si distingués, dut être réjouie de voir la position que j’occupais alors. Toutes les femmes avides de me recevoir, tous les hommes furieux ; trinquant avec les ducs et les comtes à souper, dansant le menuet avec de hautes baronnes bien nées (comme elles s’appellent absurdement en Allemagne),