Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/170

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vaste, rempli de sofas et de bancs, et les gentilshommes et officiers de service qui venaient rendre leurs devoirs au duc s’en servaient comme d’une antichambre et y faisaient leur cour à Son Altesse, lorsqu’elle passait à onze heures pour aller à la parade. À ce moment-là, les heiduques qui étaient dans l’appartement de la princesse sortaient avec leurs hallebardes et présentaient les armes au prince Victor, le même cérémonial étant observé de son côté quand les pages sortaient et annonçaient l’approche de Son Altesse. Les pages sortaient et disaient : « Le prince, messieurs ! » et les tambours battaient dans le vestibule, et les gentilshommes qui attendaient se levaient des bancs placés le long de la balustrade.

« Comme si sa destinée la poussait à la mort, un jour la princesse, comme ses gardes sortaient et qu’elle savait que le prince était, comme de coutume, sur le perron à causer avec ses gentilshommes (anciennement il traversait l’appartement de la princesse et lui baisait la main), la princesse, qui avait été dans l’anxiété toute la matinée, se plaignant de la chaleur, insistant pour que toutes les portes de l’appartement restassent ouvertes, et donnant des signes d’une démence qui, je pense, était devenue évidente, s’élança d’un air effaré à la porte comme les gardes sortaient, se fraya un passage au milieu d’eux, et avant qu’un mot pût être dit, ou que ses dames pussent la suivre, elle fut en présence du duc Victor, qui causait comme d’habitude sur le perron, et se plaçant entre lui et l’escalier, elle se mit à l’apostropher avec une véhémence frénétique.

« Sachez, messieurs, cria-t-elle, que cet homme est un assassin et un menteur ; qu’il trame des complots contre d’honorables gentilshommes, et les tue en prison ! Sachez que, moi aussi, je suis en prison, et que je redoute le même sort ; le même boucher qui a tué Maxime de Magny peut, une de ces nuits, m’enfoncer le couteau dans la gorge. J’en appelle à vous et à tous les rois de l’Europe, mes augustes parents. Je demande à être affranchie de ce tyran et de ce scélérat, de ce menteur et de ce traître ! je vous adjure tous, comme gens d’honneur, de porter ces lettres à mes parents et de dire de qui vous les tenez ! »

« Et à ces mots l’infortunée se mit à disperser ses lettres dans la foule étonnée.

« Que personne ne se baisse ! dit le prince d’une voix de tonnerre. Madame de Gleim, vous auriez dû mieux surveiller votre malade. Appelez les médecins de la princesse ; le cerveau de Son Altesse est affecté. Messieurs, ayez la bonté de vous retirer. »

« Et le prince se tint sur le perron tandis que les gentils-