Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/188

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

solé de vous faire attendre, vous ou tout autre. Ne feriez-vous pas mieux de vous entendre avec mon docteur, ou de charger mon cuisinier d’assaisonner mon omelette avec de l’arsenic ? Qui de vous gage, messieurs, ajoutait-il, que je ne vivrai pas encore assez pour voir le capitaine Barry pendu ? »

Le fait est que les médecins l’avaient rafistolé pour un an. « C’est mon bonheur habituel, ne pus-je m’empêcher de dire à mon oncle, qui était mon confidentiel et mon très-excellent conseiller dans toutes mes affaires de cœur ; j’ai prodigué des trésors d’affection à une coquette de comtesse, et voici son mari rendu à la santé et capable de vivre je ne sais combien d’années ! »

Et comme pour ajouter à ma mortification, juste à cette époque, il arriva à Spa une héritière anglaise, la fille d’un fabricant de chandelles, deux ou trois fois millionnaire, et Mme Cornu, la veuve d’un fermier général et éleveur de bestiaux normands, avec une hydropisie et deux cent mille livres sterling de rente.

« À quoi bon suivre les Lyndon en Angleterre, dis-je, si le chevalier ne meurt pas ?

— Ne les suis pas, mon candide enfant, répliqua mon oncle. Reste ici à faire la cour aux nouvelles venues.

— Oui, et perdre Caliste pour toujours, et la plus grande fortune de l’Angleterre.

— Bah ! bah ! les jeunes gens comme vous prennent aisément feu et se découragent aisément. Entretenez une correspondance avec lady Lyndon, vous savez qu’elle n’aime rien tant. Vous avez l’abbé irlandais, qui vous écrira les plus charmantes lettres à un écu pièce. Laissez-la partir, écrivez-lui, et pendant ce temps-là ayez l’œil sur tout ce qui peut s’offrir. Qui sait ? Vous pourriez épouser la veuve normande, l’enterrer, prendre son argent, et être prêt pour la comtesse à la mort du chevalier. »

Et ainsi, avec des serments de l’attachement respectueux le plus profond, et après avoir donné vingt louis à sa femme de chambre pour une boucle de ses cheveux (ce dont, bien entendu, la soubrette informa la maîtresse), je pris congé de la comtesse lorsqu’elle dut retourner dans ses terres, lui jurant de la suivre aussitôt que j’aurais mis fin à une affaire d’honneur que j’avais sur les bras.

Je passerai sur les événements de l’année qui s’écoula avant que je la revisse. Elle m’écrivit conformément à sa promesse, avec beaucoup de régularité d’abord, un peu moins fréquemment ensuite. En attendant, je ne faisais pas trop mal mes af-