Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/244

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parmi mes voisins, comme un dangereux niveleur pour avoir exprimé ces opinions, et surtout pour avoir invité à ma table, au château de Lyndon, le prêtre catholique de la paroisse. Il avait été élevé à Salamanque, et, à mon sens, était beaucoup mieux appris et d’une compagnie plus agréable que son camarade le recteur, dont la congrégation ne se composait que d’une douzaine de protestants, qui était fils d’un lord, il est vrai, mais il savait fort peu d’orthographe, et sa plus grande occupation était le chenil et les combats de coqs.

Je n’agrandis ni n’embellis les bâtiments de Lyndon-Castle comme j’avais fait des autres domaines, et je me contentai d’y aller de temps en temps, exerçant une hospitalité presque royale, et tenant maison ouverte pendant mon séjour. En mon absence, je permettais à ma tante, la veuve Brady, et à ses six filles non mariées (quoique toujours détesté d’elles) d’y demeurer, ma mère préférant ma nouvelle maison de Barryogue.

Et comme milord Bullingdon était, sur ces entrefaites, devenu excessivement grand et incommode, je résolus de le laisser sous la surveillance d’un gouverneur convenable en Irlande, avec mistress Brady et ses six filles pour prendre soin de lui ; et libre à lui de devenir amoureux de toutes ces vieilles dames si le cœur lui en disait et d’imiter en cela l’exemple de son beau-père. Quand il était las de Castle-Lyndon, Sa Seigneurie avait la permission de venir résider dans ma maison avec ma maman ; mais il n’y avait pas d’amour perdu entre elle et lui, et, à cause de mon fils Bryan, je crois qu’elle le haïssait aussi cordialement que j’aie jamais pu le faire.

Le comté de Devon n’est pas aussi heureux que son voisin, le comté de Cornwall, et n’a pas en partage autant de représentants que l’autre, où j’ai connu un gentilhomme campagnard, d’aisance médiocre, qui tirait par an quelques milliers de livres sterling de sa terre, et triplait son revenu en envoyant trois ou quatre membres au parlement, et par le crédit que ces sièges lui donnaient auprès des ministres. L’influence parlementaire de la maison Lyndon avait été honteusement négligée durant la minorité de ma femme, et l’incapacité du comte son père ; ou, pour parler plus exactement, elle avait été escamotée à la famille Lyndon par l’adroit vieil hypocrite de Tiptoff Castle, qui agissait comme la plupart des parents et tuteurs font envers leurs pupilles et parents mineurs, et les volait. Le marquis de Tiptoff envoyait quatre membres au parlement ; deux pour le bourg de Tippleton, qui, comme tout le monde sait, est au bas de notre domaine de Hackton, borné de l’autre côté par le parc de Tiptoff.