Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lorsqu’elle le reçut à son arrivée ; s’il éprouva aussi de l’agitation, il ne le laissa certes pas voir. Il lui fit un profond et cérémonieux salut quand il lui baisa la main ; et quand je tendis la mienne, il mit ses deux mains derrière son dos, me regarda à la face et inclina la tête en disant : « Monsieur Barry Lyndon, je crois ? » tourna sur ses talons et se mit à causer du temps qu’il faisait avec sa mère, qu’il appelait toujours Votre Seigneurie. Elle fut irritée de cette allure impertinente, et lorsqu’ils furent seuls, elle le gronda vivement de n’avoir pas donné la main à son père.

« Mon père, madame ! dit-il ; à coup sûr, vous faites erreur. Mon père était le très-honorable sir Charles Lyndon. Moi, du moins, je ne l’ai point oublié, si d’autres l’ont fait. »

C’était une déclaration de guerre contre moi, je le vis tout de suite ; et pourtant, je le déclare, j’eusse été assez disposé à le bien recevoir à son arrivée parmi nous et à vivre avec lui dans des termes d’amitié. Mais comme on me traite, je traite. Qui peut me blâmer de mes querelles subséquentes avec ce jeune réprouvé, ou mettre sur mon compte le mal qui en résulta plus tard ? Peut-être perdis-je patience, et le traitai-je avec dureté. Mais ce fut lui qui commença la querelle et non pas moi ; et les fâcheuses conséquences qui s’ensuivirent furent tout à fait de sa faute.

Comme il vaut mieux couper le mal dans sa racine et, pour un maître de maison, exercer son autorité de telle sorte qu’elle ne puisse être mise en question, je saisis la première occasion d’en venir aux mains avec master Bullingdon, et, dès le lendemain de son arrivée parmi nous, sur son refus de remplir quelque devoir que je requérais de lui, je le fis amener à mon cabinet, et l’étrillai d’importance. Cette exécution, je le confesse, m’agita d’abord beaucoup, car jusque-là je n’avais pas donné de coups de cravache à un lord ; mais j’en pris promptement l’habitude, et son dos et mon fouet firent si bien connaissance, qu’au bout de peu de temps je vous promets qu’il y eut entre eux fort peu de cérémonie.

Si je devais relater tous les cas d’insubordination et de brutalité du jeune Bullingdon, je fatiguerais le lecteur. Sa persévérance à me résister était, je crois, plus grande encore que la mienne à le corriger : car un homme, si résolu qu’il soit à faire son devoir de père, ne saurait fouetter ses enfants toute la journée, ou pour chaque faute qu’ils commettent ; et, quoique j’eusse la réputation d’être pour lui un beau-père si cruel, je donne ma parole que je lui épargnai plus de corrections lorsqu’il en méri-