Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/36

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vous, infâme brouillon, de vous occuper d’une fille de cette maison ?

— Infâme vous-même ! criai-je ; donnez-moi encore un nom semblable, Mick Brady, et je vous enfonce mon épée dans le ventre. Souvenez-vous que je vous ai tenu tête quand je n’avais que onze ans. Je suis votre homme, maintenant, et, par Jupiter, provoquez-moi, et je vous battrai comme… comme votre frère cadet a toujours fait. » C’était un coup sanglant, et je vis Mick bleuir de fureur.

« Voilà une jolie manière de vous faire bien venir de la famille, dit Fagan d’un ton conciliant.

— Cette fille est assez âgée pour être sa mère, grommela Mick.

— Âgée ou non, répliquai-je, écoutez ceci, Mick Brady (et je proférai un jurement terrible, inutile à répéter ici) : l’homme qui épousera Nora Brady devra d’abord me tuer ; songez à cela !

— Bah ! monsieur, dit Mick en se détournant, vous tuer ? vous fouetter, voulez-vous dire. Je vais envoyer chercher Nick le piqueur pour le faire. » Et il s’en alla.

Le capitaine Fagan alors vint à moi, et, me prenant amicalement par la main, dit que j’étais un garçon de cœur, et qu’il aimait mon énergie. « Mais, continua-t-il, ce que dit Brady est vrai. C’est une chose difficile que de donner un conseil à un garçon aussi monté que vous l’êtes ; cependant, croyez-moi, je connais le monde, et si vous voulez suivre mon avis, vous n’en aurez pas de regret. Nora Brady n’a pas un sou, et vous n’êtes pas plus riche. Vous n’avez que quinze ans, et elle en a vingt-quatre. Dans dix ans, quand vous serez d’âge à vous marier, elle sera une vieille femme ; et, mon pauvre enfant, ne voyez-vous pas, quoique ce soit dur à voir, que c’est une coquette, qui ne se soucie ni de vous ni de Quin ? »

Mais qui est-ce qui en amour (ou sur tout autre point, quant à cela) écoute un avis ? Je ne l’ai jamais fait, et je dis tout net au capitaine Fagan que Nora pouvait m’aimer ou non, comme il lui plairait, mais que le capitaine Quin se battrait avec moi avant de l’épouser ; cela, je le jurais.

« Ma foi, dit Fagan, je vous crois un garçon à tenir votre parole ; » et me regardant fixement une seconde ou deux, il s’en alla aussi en fredonnant un air, et je vis qu’il se retournait pour me regarder en sortant du jardin par la vieille porte. Et lorsqu’il fut parti, et que je fus tout seul, je me jetai sur le banc où Nora avait fait semblant de s’évanouir, et avait laissé son