Page:Thackeray - Mémoires de Barry Lyndon.djvu/71

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avec laquelle je l’assommai. Je tuai, de plus, quatre autres officiers et soldats, et dans la poche du pauvre enseigne je trouvai une bourse de quatorze louis d’or et une bonbonnière en argent, et le premier de ces cadeaux me fut fort agréable. Si les gens voulaient faire leurs récits de batailles avec cette simplicité, je crois que la vérité n’en souffrirait pas. Tout ce que je sais de ce fameux combat de Minden (excepté par les livres) est relaté ci-dessus. La bonbonnière d’argent de l’enseigne et sa bourse d’or ; la face livide du pauvre diable quand il tomba ; les vivats des hommes de ma compagnie quand j’allai le tuer sous un feu très-vif ; leurs cris et leurs imprécations quand nous en vînmes aux mains avec les Français ; ce ne sont pas là, en vérité, de très-dignes souvenirs, et il vaut mieux passer dessus brièvement. Quand mon bon ami Fagan fut tué, un autre capitaine, et son très-cher ami, se tourna vers le lieutenant Rawson et dit : « Fagan est par terre ; Rawson, voilà votre compagnie. » Ce fut là toute l’oraison funèbre qu’eut mon brave patron. « Je vous aurais laissé cent guinées, Redmond, ce furent les derniers mots qu’il me dit, si je n’avais pas eu tant de guignon au pharaon hier au soir ; » et il me serra faiblement la main ; et comme l’ordre était donné d’avancer, je le quittai. Quand nous revînmes à notre ancien poste, ce qui ne tarda pas, il était encore couché là, mais il était mort. Quelques-uns de nos gens lui avaient déjà arraché ses épaulettes, et, sans aucun doute, lui avaient raflé sa bourse. Les hommes deviennent de tels voleurs et de tels gredins à la guerre ! C’est fort bien aux gentilshommes de parler de l’époque de la chevalerie ; mais songer aux brutes affamées qu’elle menait, des hommes nourris dans la pauvreté, d’une ignorance complète, qu’on habituait à s’enorgueillir de verser le sang ; des hommes qui n’avaient pas d’autre amusement que l’ivrognerie, la débauche et le pillage ! C’est avec ces affreux instruments que nos grands guerriers et monarques ont fait leur œuvre de meurtre dans le monde ; et tandis que, par exemple, nous admirons en ce moment le grand Frédéric, comme nous l’appelons, et sa philosophie, et son libéralisme, et son génie militaire, moi qui ai servi sous lui et qui étais pour ainsi dire dans les coulisses de ce grand spectacle, je ne peux l’envisager qu’avec horreur. Que de crimes, de misère, d’esclavage, pour composer ce total de gloire ! Je me rappelle un certain jour, environ trois semaines après la bataille de Minden, et une ferme dans laquelle entrèrent quelques-uns de nous, et comme quoi la vieille femme et ses filles nous servirent du vin en tremblant ; et comme quoi nous nous grisâmes,