Page:Tharaud - Dingley.djvu/16

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misérables, entrait dans les bouges, écoutait les gueux, passait des heures dans le hall de la Bourse, se mêlait aux gens arrêtés devant les offices des journaux, le nez en l’air, sous les transparents qui projetaient en noir les derniers télégrammes de la guerre sud-africaine.

Au War-Office, où l’on affichait chaque jour le nom des blessés et des morts, il vécut d’inoubliables minutes à épier les regards qui déchiffraient les listes funèbres — occasion unique d’observer sur des faces humaines les effets de l’appréhension. La lumière avait peine à percer la couche de crasse ancienne épaissie sur les vitres, et dans ce jour terreux les visages les plus éclatants de jeunes filles prenaient des teintes livides. On voyait là, se coudoyant, l’homme-machine des quartiers du Sud, qui ne pense qu’à dormir après un fort repas de viande et un gobelet de whiskey ; l’homme du pence et du shilling et des grands livres de comptes, coiffé du haut de forme ou de la cape ; et les dominant l’un et l’autre d’une