Page:The universal anthology - vol. 19, 1899.djvu/21

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De nouvelles curiosités s’éveillèrent. Des doutes nous vinrent sur l’universalité de l’idéal dont nous nous étions contentes jusqu’alors. De nouveaux éléments s’insinuèrent dans la composition de l’esprit français. Et les poètes, s’il en surgissait, se trouvèrent ainsi assures d’une liberté qui leur avait fait défaut jusqu’alors, et de cette espèce de complicité de l’opinion ou du milieu, sans laquelle rien n’est plus difficile, ― même au génie, ― que de déterminer une révolution littéraire.

Là est l’explication du succès des premières Méditations de Lamartine, qu’on pourrait comparer, dans l’histoire de notre poésie lyrique, au succès du Cid ou d’Andromaque, dans l’histoire du Théâtre Français. Mais on ne vit point alors, comme au temps d’Andromaque ou du Cid, de contradiction ni de lutte ; l’opinion fut unanime à reconnaître, à consacrer le poète ; et quand les Nouvelles Méditations, La Mort de Socrate, Le Dernier Chant du Pèlerinage de Childe Harold, les Harmonies Poétiques vinrent s’ajouter, de 1820 à 1830, aux Méditations, les derniers eux-mêmes et les plus obstines des classiques durent avouer qu’une poésie nouvelle nous était née. Les Poésies d’Alfred de Vigny, parues en 1822, rééditées en 1826 ; et les Odes de Victor Hugo, 1822, suivies de ses Ballades en 1824, et de ses Orientales en 1829, achevaient promptement de caractériser cette poésie dans ses traits essentiels. Si ces trois grands poètes, en effet, avaient chacun son originalité, qui le distinguait profondément des deux autres, Lamartine plus clair, plus harmonieux, plus vague ; Hugo plus précis et plus colore, plus sonore, plus rude aux oreilles françaises ; et Vigny plus discret, plus élégant, plus mystique, mais plus court d’haleine, ils ne laissaient pas d’avoir beaucoup de traits communs. S’ils avaient tous les trois des maîtres dans quelques-uns de leurs prédécesseurs du dix-huitième siècle, Lamartine dans Parny et dans Millevoye, Hugo dans Fontanes, dans Lebrun et dans Jean Baptiste Rousseau, Vigny dans Chénier, les différences apparaissaient quand on les comparait aux représentants encore vivants du pseudo-classicisme, tels que Casimir Delavigne, avec ses Messéniennes ou Béranger dans ses Chansons. Et peut-être une critique perspicace eut-elle pu prévoir qu’ils ne tarderaient pas à s’engager dans des voies divergentes :