Lamartine plus idéaliste, Hugo plus réaliste, Vigny déjà plus « philosophe » ; mais pour le moment, c’est-à-dire entre 1820 et 1830, ils formaient groupe, s’ils n’étaient pas précisément une école, et c’est ce groupe qu’il nous faut essayer de caractériser.
Notons d’abord qu’aucun d’eux n’est ce qu’on appelait alors « Libéral, » du parti de Benjamin Constant ou de Manuel, mais ils sont tous les trois « Royalistes, » ultra-royalistes et Catholiques, du parti de Joseph de Maistre, de Bonald, et de Lamennais. C’est même Hugo qui est alors le plus absolu et le plus intransigeant des trois, et l’horreur ou la haine de la Révolution ne s’est nulle part déclarée plus énergiquement que dans ses premiers poèmes : Les Vierges de Verdun, Quiberon, Buonaparte. Leur religiosité n’est pas moins sincère ni moins ardente que leur royalisme, et, comme celle de leur maître, Chateaubriand, elle s’étend à toutes leurs idées. Ils se font de l’amour une conception religieuse ; c’est religieusement. qu’ils admirent l’œuvre de Dieu dans la nature ; ils se font du rôle du poète une conception religieuse. Et, à la vérité, leur religion n’est pas toujours très sure, ni très raisonnée. Elle n’est pas très orthodoxe : celle de Lamartine s’évaporera, pour ainsi dire, en une espèce de panthéisme hindou ; Hugo passera comme insensiblement du christianisme au Voltairianisme ; Vigny, d’année en année, s’acheminera vers un pessimisme très voisin de celui de Schopenhauer. Mais ce sera plus tard ; et, en attendant, la diffusion ou même l’exaltation du sentiment religieux fait un des caractères de la poésie française du dix-neuvième siècle à ses débuts.
Cette poésie est, en second lieu, personnelle ou individuelle, et nous voulons dire par la que le poète y est lui-même, comme homme, non seulement l’occasion, mais le principal objet et la matière habituelle de ses vers. Une Ode française, et même une Élégie, n’avaient guère été jusque la que des lieux communs, très généraux et très abstraits, qu’on dépouillait d’abord, pour les mieux développer, de tout ce qu’ils pouvaient avoir de trop particulier. Aussi se ressemblent-elles toutes. On ne voit pas de raisons pour qu’une Élégie de Chénier ne fut pas de Parny, et, si l’on eut imprimé les Odes de Lefranc de Pompignan, sous le nom de Lebrun,